L'histoire
de Petite Feuille
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Il était une fois, tous les contes
se doivent de commencer ainsi, une petite feuille qui vivait dans un arbre.
Dernière née de la grande famille des feuilles, tout
le monde, dans cet arbre, l’appelait Petite Feuille.
Issue d’une jeune et
haute branche, elle passait là des jours tranquilles, au milieu
de ses tendres sœurs : aujourd’hui vibrant sous la pluie, demain s’ébrouant
dans la brise, et plus tard s’étirant au soleil. Elle faisait mille
grâces aux moineaux de passage et aux papillons aventureux, ignorant
le persiflage aigre-doux de ses lointaines cousines, vertes de rage et
solitaires, sur les vieilles et sombres branches du bas. |
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Quand Petite Feuille eut épuisé
tous les jeux permis à une petite feuille, elle commença
à s’ennuyer fort. Ce qui la dérida un brin, c’est qu’une
semaine durant un grillon vint chanter près de sa branche le mystère
et la splendeur de lointains pays, pays qu’il avait soi-disant traversés
en sautillant. Même si ce grillon, si petit et grisâtre qu’il
fût, se vantait et en chantait plus qu’il n’en avait sûrement
fait, ce qu’il racontait n’en demeurait pas moins passionnant, pour une
petite feuille jeune et seulette comme elle. Et, si petit et si grisâtre
qu’il fût, ce grillon, comme tous les grillons, était un poète...
Aussi Petite Feuille fut-elle bien triste lorsqu’il disparut soudainement,
un matin, avec le premier brouillard de la saison. |
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Elle se mit alors à rêver
de contrées inconnues et de voyages. Pourquoi être condamnée
à rester ainsi attachée pour la vie à cette faible
et triste brindille, à ce monde froid et sans couleur ? Elle se
prit à maudire sa végétale immobilité, à
détester sa prison de branches, à pleurer sur son morne destin
de racines. Il existait, ailleurs, loin, d’autres pays et d’autres joies
que ne connaîtraient jamais ses frileuses sœurs et amies, trop occupées
à trembler sur leur branche en ressassant leurs sempiternels et
médisants radotages de vieilles filles. Tandis qu’elle, Petite Feuille
géniale et hardie, on allait voir ce qu’on allait voir : elle allait
le parcourir le monde, elle allait en découvrir tous les coins et
pas plus tard que tout de suite ! Elle les suivrait, ces papillons qui
voletaient puis disparaissaient de l’autre côté du jardin,
elles les accompagnerait, ces oiseaux qui fuyaient à tire-d’aile
vers la forêt, elles les chevaucherait ces nuages qui passaient de
l’autre côté de l’horizon , là où le soleil
rouge attendait les gentilles et courageuses petite feuilles comme elle.
D'impatience, il lui en poussait presque des jambes... |
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Un matin, Petite Feuille fit son baluchon , embrassa
sa famille, jeta un rapide au revoir à ses compagnes : le jour du
départ et de l’aventure était venue. Sans regret, presque
sans effort, elle se détacha de sa branche pour commencer son grand
voyage.
Mais Petite Feuille,
libre enfin, ne saurait jamais que l’automne était là et
que, feuille morte, elle était en train de tomber dans le vent. |
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