Novembre 2002
Les autres N°

L'histoire de Petite Feuille
  Il était une fois, tous les contes se doivent de commencer ainsi, une petite feuille qui vivait dans un arbre. Dernière née de la grande famille des feuilles,  tout le monde, dans cet arbre, l’appelait Petite Feuille.

     Issue d’une jeune et haute branche, elle passait là des jours tranquilles, au milieu de ses tendres sœurs : aujourd’hui vibrant sous la pluie, demain s’ébrouant dans la brise, et plus tard s’étirant au soleil. Elle faisait mille grâces aux moineaux de passage et aux papillons aventureux, ignorant le persiflage aigre-doux de ses lointaines cousines, vertes de rage et solitaires, sur les vieilles et sombres branches du bas. 

Quand Petite Feuille eut épuisé tous les jeux permis à une petite feuille, elle commença à s’ennuyer fort. Ce qui la dérida un brin, c’est qu’une semaine durant un grillon vint chanter près de sa branche le mystère et la splendeur de lointains pays, pays qu’il avait soi-disant traversés en sautillant. Même si ce grillon, si petit et grisâtre qu’il fût, se vantait et en chantait plus qu’il n’en avait sûrement fait, ce qu’il racontait n’en demeurait pas moins passionnant, pour une petite feuille jeune et seulette comme elle. Et, si petit et si grisâtre qu’il fût, ce grillon, comme tous les grillons, était un poète... Aussi Petite Feuille fut-elle bien triste lorsqu’il disparut soudainement, un matin, avec le premier brouillard de la saison.
 Elle se mit alors à rêver de contrées inconnues et de voyages. Pourquoi être condamnée à rester ainsi attachée pour la vie à cette faible et triste brindille, à ce monde froid et sans couleur ? Elle se prit à maudire sa végétale immobilité, à détester sa prison de branches, à pleurer sur son morne destin de racines. Il existait, ailleurs, loin, d’autres pays et d’autres joies que ne connaîtraient jamais ses frileuses sœurs et amies, trop occupées à trembler sur leur branche en ressassant leurs sempiternels et médisants radotages de vieilles filles. Tandis qu’elle, Petite Feuille géniale et hardie, on allait voir ce qu’on allait voir : elle allait le parcourir le monde, elle allait en découvrir tous les coins et pas plus tard que tout de suite ! Elle les suivrait, ces papillons qui voletaient puis disparaissaient de l’autre côté du jardin, elles les accompagnerait, ces oiseaux qui fuyaient à tire-d’aile vers la forêt, elles les chevaucherait ces nuages qui passaient de l’autre côté de l’horizon , là où le soleil rouge attendait les gentilles et courageuses petite feuilles comme elle. D'impatience, il lui en poussait presque des jambes...
Un matin, Petite Feuille fit son baluchon , embrassa sa famille, jeta un rapide au revoir à ses compagnes : le jour du départ et de l’aventure était venue. Sans regret, presque sans effort, elle se détacha de sa branche pour commencer son grand voyage.

     Mais Petite Feuille, libre enfin, ne saurait jamais que l’automne était là et que, feuille morte, elle était en train de tomber dans le vent.