Février 2004
Les autres N°

UN DRÔLE D'OISEAU
par Claudine ROBERT

Quel drôle d’oiseau ! La dame revenait de son travail et, près de sa porte, elle vit un oiseau, apparemment tombé du nid mais qui, pour un nouveau né, paraissait de belle taille.

Elle le prit dans sa main et fut surprise de constater que l’oisillon avait déjà de la force : il s’agrippait à ses doigts et elle eut bien du mal à desserrer les petites griffes qui les emprisonnaient.

Elle décida alors de l’emmener chez elle, remonta une vielle cage de la cave, y installa confortablement l’oiseau, déterminée à le soigner jusqu’à ce qu’il soit capable de «voler de ses propres ailes».

Elle l’observait. L’oiseau, tout d’abord effrayé par cette prison, s’était calmé et,  à son tour, regardait la dame. Il avait des yeux perçants, presque inquiétants. La dame vérifia qu’il ne manquait de rien et alla se coucher.

Le lendemain matin, elle entendit un sifflement joyeux : l’oiseau chantait à tue-tête et salua l’arrivée de sa bienfaitrice d’une trille particulièrement réussie. Elle lui donna quelques morceaux de gâteau, fort appréciés, et partit au travail.

Les journées passaient. L’oiseau, lui, grossissait et prenait de l’envergure.

La dame dut se résigner à acheter un cage plus grande. L’oiseau grossissait toujours. Elle acheta une cage encore plus grande. Avec sa taille, son affection, elle aussi, grandissait, et c’était tout un problème pour la dame de quitter la maison, le matin. 

 

L’oiseau criait si fort que les voisins, inquiets, posèrent des questions. La dame leur expliqua la situation et précisa que depuis quelques jours, comme l’oiseau ne tenait plus dans la cage – le plus grand modèle qu’elle avait pu trouver – elle avait dû le laisser en liberté dans la maison. Quand elle rentrait, le soir, c’était du délire ! et ceci au détriment de quelque vase ou bibelot précieux qui pâtissaient de ces moments de joie.

Malgré son attachement, la dame était consciente que cela ne pouvait plus durer et qu’il faudrait, un jour ou l’autre, prendre une décision et se séparer de l’oiseau : de plus en plus gros, il avait de plus en plus de mal à se déplacer dans la maison.

Elle consulta un éminent ornithologue qui vint voir l’animal et déclara qu’il s’agissait d’un « Condor Royal Géant », espèce pratiquement disparue et qui pouvait atteindre, adulte, six mètres d’envergure !

La dame n’hésita plus quand l’ornithologue lui proposa de prendre l’oiseau pour le placer dans une réserve, où on reconstituerait son milieu naturel et où il pourrait vivre normalement.

Ce fut une véritable épopée, la capture de l’oiseau ! Il avait compris qu’on allait le séparer de sa bienfaitrice : il volait en tout sens, cassant tout ce qui se trouvait sur son passage. Ils réussirent enfin à le capturer à l’aide d’un filet et l’emmenèrent vers sa nouvelle résidence.

Il avait une belle demeure, l’oiseau ; des arbres, de l’espace... mais il s’ennuyait. Il ne mangeait plus, dépérissait ; même les visites des enfants venus l’admirer le laissaient indifférent. Il fallait faire quelque chose.

L’ornithologue contacta la dame, lui demandant de venir rendre visite au pauvre oiseau.

Quand elle arriva, l’oiseau, qui atteignait maintenant ses six mètres d’envergure, devint comme fou. Il déchira le grillage et, devant une foule ébahie, enleva sa bienfaitrice dans ses serres puissantes, prit son envol et disparut dans les airs.

Il l’emmenait dans son pays, loin, très loin, où vivent heureux des condors géants et de gentilles dames qui, un jour, ont pris sous leur aile un oisillon perdu.

Texte de Claudine Robert
Illustrations de Guy Robert