Avril 2005
Les autres N°


De la beauté simple et pourtant mystérieuse
des crayons de couleur

C’est déjà un titre, ça !

En fait, plus simplement, parlons un peu couleur, et plus particulièrement, CRAYONS DE COULEUR.

Qui, passant un jour devant une boutique de fournitures pour artistes, n’a pas rêvé sur ces somptueuses boites étalant leurs dizaines de crayons de couleur en bois, bien alignés, comme à la parade ?

Quand on les regarde ainsi, ces belles et inaccessibles boites, rangées comme un arc-en-ciel, le monde paraît soudain plus simple, plus ordonné, plus beau que ce qu’il n’est de l’autre côté de la vitrine. Un monde de couleurs vives et franches, d’où sont exclues toutes nuances, subtilités, ambiguïtés. Un monde qui ressemble beaucoup à celui de l’enfance car, gamins, qui n’a pas joué avec ces fameux crayons de couleur ?
Ah ! versons une larme sur ces trousses au cuir fourbu où l’on glissait, dans les attaches prévues à cet effet, nos crayons de couleur mâchonnés à la mine usée. C’est qu’ils en avaient fait du chemin, ces bouts de crayon ! Des premiers gribouillis, jusqu’aux copies léchées de nos héros favoris de BD, en passant par ces inévitables cartes de géographie où, sur papier quadrillé, on affublait les grands fleuves de France d’affluents incertains.
Et nos premiers croquis de maison ! Carrée la maison, avec le toit rouge sang et la cheminée qui fume, le papa dans le jardin qui tond une pelouse au vert criard et la maman sur le pas de la porte avec une robe rouge comme le toit, le tout sous un ciel barbouillé bleu et un soleil jaune plein de doigts. « Ce petit sera un artiste, regarde comme il a dessiné le chien des voisins - C’est pas un chien, c’est un dinosaure » Combien de parents ont accroché au mur de leur bureau ces œuvres d’art ? Mais dans les musées, les vrais, les officiels, avec leurs salles sombres et leurs portes à battants, bien peu de dessins aux crayons de couleur, n’est-ce pas ? Et pourtant, les Michel-Ange, les Fragonard, les Van Gogh, les Picasso, les Hergé et autres huiles des Beaux-Arts en sont tous passés par là : un simple trait de crayon de couleur sur un simple papier.
Bien sûr, avec des crayons de couleur, il ne s’agit pas de rivaliser avec les « grandes machines » artistiques. On ne refera pas le plafond de la Chapelle Sixtine au crayon Conté® (bien que…), ni le Radeau de la Méduse ni la Joconde (sauf pour les moustaches). Non, laissons aux génies l’huile, la tempera, aquarelle, acrylique et autres nobles produits. Trois crayons suffisent pour accéder au rêve ; car toute la beauté du crayon de couleur est là : dans sa simplicité. Avec lui, pas de chichi, pas d’atelier, pas de message. Un bout de papier et un coin de table. Une fleur, un escargot, un bonhomme qui danse, un château de conte de fée, le chien du voisin, le dinosaure du coin, tout est bon pour le crayon. Et surtout, ne soyons pas sérieux, mais légers, légers, comme le crayon léger, léger sur le papier…
Prendre en main ces crayons si ronds qu’ils roulent, c’est retrouver le parfum de l’enfance, le parfum du bois tendre et celui, plus sec, comme la pierre, de la mine affûtée. On revoit les devoirs sur la table de la cuisine, les genoux écorchés dans la cour de recréation, les leçons de lecture dans la pénombre d’un après-midi de juin bourdonnant de silence, les marelles et les balles aux prisonniers et ce dessin, copié sur un livre de leçon de choses, et qui montre l’intérieur clair et précis d’une pomme coupée en deux avec ses deux pépins comme deux yeux.
C’est peut-être ça, le mystère et le charme des crayons de couleur : ils ne sont pas entrés au Musée car ils délimitent quelque part en nous, de leurs petits poteaux droits et multiples, les paradis colorés de notre enfance.
 
Texte, photos et dessins (aux crayons de couleur !) de  Guy Robert - Avril 2005