Décembre 2006
Les autres N°

P'TIT'BOUL'
conte de Noël



 

Il était une fois, et pour une fois c’est vrai car ce n’est arrivé qu’une fois, il était une fois, donc, une petite boule en verre, pour décorer le sapin de Noël : on l’appelait P’tit’Boul’. Jusqu’au 24 décembre, elle dormait avec ses sœurs dans une jolie boite en carton, au fond de l’armoire. Le jour venu, on les arrachait avec précaution de leur petit nid douillet. Certaines n’avaient pas résisté à cette longue hibernation, trop vieilles, trop usées, trop fragiles ou mal placées dans la boite. Pour ces boules là, c’était fini avant d’avoir commencé, et leurs fragments scintillants rejoignaient dans la poubelle les guirlandes emmêlées, les ampoules grillées et les branches cassées du sapin tout neuf. Car tel était leur destin : appelées à rayonner dans la nuit de Noël, leur beauté de cristal faisait à la fois leur succès et leur faiblesse. Stars, oui, mais elles le devaient autant à la jolie tournure de leur minois qu’à la fragilité de leur enveloppe ; l’éphémère de leur vie rajoutait à leur splendeur, surtout quand ces vies étaient confiées aux mains, parfois maladroites, aux doigts, parfois fuyants, de marmots voulant jouer les Pères Noëls.

Toutes savaient cela, et P’tit’Boul’ autant que les autres. Mais P’tit’Boul’ était jeune et avait encore bien le temps d’y penser. P’tit’Boul’ était jeune, oui, mais elle avait aussi de l’ambition, car aux boules de noël bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années. Aussi, quand elle se retrouva, comme les fois précédentes, accrochée dans l’ombre des branches basses du traditionnel sapin, elle décréta en son for intérieur que cela avait assez duré. « Ne suis-je pas aussi argentée que les autres, aussi finement décorée que celles qui trônent dans les hauteurs, aussi dodue et brillante que certaines qui reçoivent, plus haut, les sunlight des guirlandes et les vivas de la foule ? Ne suis-je pas assez jolie et fine pour aller, plus haut, là où les branches sont légères et la neige plus tiède, écouter les chants de Noël et voir le monde alentour ? » Voilà ce que se disait P’tit’Boul’ tandis que les enfants, aidés de leurs parents, merci Mon Dieu, finissaient de décorer l’arbre.

Dans la Nuit de Noël, alors que tout le monde dormait et que clignotaient doucement dans l’ombre les guirlandes toutes neuves, P’tit’Boul’ se décida : elle monterait jusqu’au sommet du sapin pour s’y accrocher, elle-même, toute seule, comme une grande boule de noël qu’elle était. Ce ne fut pas facile, on s’en doute. Quiconque a un tant soit peu regardé une boule de noël s’est dans doute aperçu que ses bras et ses jambes sont très courts, pour ne pas dire plus (ou moins). Mais le courage et la détermination de P’tit’Boul’ étaient tels que, sans crainte et avec adresse, elle quitta sa branche basse et se glissa vers les hauteurs. En chemin, elle rencontrait, au détour d’une aiguille de sapin, des angelots dorés et endormis auxquels elle faisait une révérence respectueuse, des traîneaux en bois peints qu’elle empruntait sans vergogne pour faire un bout de chemin, bien que cela soit extrêmement dangereux pour une boule de noël de faire du traîneau, des lutins habillés de rouge qui lui pinçaient coquinement la joue… Une vieille ampoule, qui clignotait sans doute pour son dernier noël, lui souhaita bonne chance. Une jeune boule, comme elle, la traita de « pimbêche sans vergogne » mais quand P’tit’Boul’ lui proposa de la suivre, elle faillit se fendre d’indignation. C’est vrai que sur les sapins de noël, généralement, les décors changent rarement de place de leur propre chef, mais P’tit’Boul’, on l’aura compris, était exceptionnelle. Doucement, elle montait, elle montait.

Arrivée à mi-pente, elle se reposa dans l’ombre d’une somptueuse guirlande qui l’entoura chaudement. Mais les manières un peu trop entreprenantes de celle-ci la remirent prestement en route. « Bon voyage, chérie ! » lui lança, narquoise, la belle guirlande. Plus elle montait, et plus elle découvrait le monde. D’ici, entre les branches qui se faisaient plus rares, elle apercevait le vaste continent du salon, avec les rideaux de velours tirés devant les fenêtres, avec la table déjà mise pour le lendemain et où brillaient les couverts d’argent et les verres à facettes. Et près de la cheminée, où brûlait un feu discret en prévision de la descente non moins discrète du Père Noël, les souliers des petits, alignés et cirés. A cette hauteur, elle ne pourrait rien rater de la fête. Encore un effort, le sommet était proche et bientôt elle pourrait s’y accrocher définitivement et rayonner sur ce monde.

C’est alors qu’une voix terrible, tombée du ciel, se fit entendre : « Que fais-tu là, petite imprudente ? »

Aie ! P’tit’Boul’ leva la tête. Au dessus d’elle, plantée à la pointe du sapin, Mme La Flèche Dorée Du Haut Du Sapin la fusillait du regard. C’est elle qui régissait le monde du Sapin et, une fois posée au sommet, toutes et tous devaient servir sa majesté et lui prodiguer le plus profond respect. Certes, entre boules de noël, on l’appelait « Mme La Vieille », mais seulement par bravade, car en fait tout le monde la craignait. P’tit’Boul’ se fit toute petite.

- Que viens-tu faire à ces hauteurs, toi qu’on a accrochée aux branches basses ?
- Je voulais voir le monde et de plus haut, lui répondit P’tit’Boul’.
- Ah Ah ! s’esclaffa Mme La Flèche Dorée Du Haut Du Sapin.

P’tit’Boul’ aurait rentré la tête dans ses épaules si elle en avait eues.

- Tu voulais prendre ma place, hein ? tonna Mme La Flèche.
- Oh non, Mme La Vi.. euh, Mme La Flèche Dorée Du Haut du Sapin, pas du tout ! C’était juste pour m’amuser et sortir un peu. En bas il fait si sombre et si froid…
- Pauvre petite, murmura alors Mme La Flèche. Si tu savais comme on s’ennuie ici ! Ma place, je te la cèderais volontiers, mais avec tes formes rebondies tu serais bien incapable de te tenir perchée ici sans choir. Crois-moi, mon sort n’est pas enviable. Et vivre ici n’est pas le paradis, malgré la hauteur.

P’tit’Boul’ n’en croyait pas ses oreilles.

- Ici, reprit Mme La Flèche Dorée Du Haut Du Sapin, je ne vois jamais personne, je suis trop en haut. On m’admire, mais de loin, on ne me touche que pour me sortir de ma boite ou m’y ranger. Même vous autres, boules, guirlandes et bougies, me méprisez ou me craignez, alors que nous pourrions toutes être amies. Ne sommes-nous pas toutes dans le même Sapin ? Tandis que toi, dans tes branches basses, tu en vois passer du monde ! Les gamins te caressent, s’amusent à regarder leur reflet sur ton ventre rebondi ; les robes à dentelles, le jour de Noël, te frôlent, parfois de trop près, certes, mais c’est la fête ! Moi, même l’odeur de la dinde, quand elle parvient jusqu’à moi, a perdu l’essentiel de son parfum et la musique quelques unes de ses notes en route. Non, P’tit’Boul’, crois-moi, redescends d’où tu viens et profite bien de la vie ! J’ai été contente de bavarder avec toi et si tu en as la force et l’audace, reviens un jour prochain me tenir un peu compagnie. Mais le bonheur, sois en sûre P’tit’Boul’, c’est en bas qu’il se tient, près des petits hommes.

P’tit’Boul’, un peu émue, répondit : « Merci, Mme La Flèche Dorée Du Haut Du Sapin, je vais suivre vos conseils et m’en retourner chez moi. Je vous souhaite un Joyeux Noël. »

- Joyeux Noël à toi et à tes sœurs, P’tit’Boul’, et sois prudente dans la descente.

P’tit’Boul’ mit toute la nuit à regagner les branches basses du sapin. Mais le matin, elle était à sa place. Le chien, le chat et toute la famille vinrent regarder leur reflet sur son ventre rebondi. Mme La Flèche n’avait pas menti. P’tit’Boul’ était heureuse et ce Noël fut un des plus beaux noëls de sa vie !
 
 
 

Guy Robert, décembre 2006