Septembre 2007
Les autres N°

    A NOS AMIES LES VACHES


Paisibles, les pattes plantées dans l’herbe, les vaches tondent le pré, de l’autre côté de la haie, sans hâte mais sans repos.

 Leurs grands yeux de velours reflètent le ciel sans le voir jamais. Tête baissée, l’herbe seule les occupe. Et dans les vagues vertes de la prairie, elles promènent méthodiquement leurs flancs rebondis de caravelle.

 Jour et nuit, dans la pluie, dans le vent, sous le soleil, elles sont là, comme des îles lentes et infatigables, comme si elles existaient depuis que l’herbe existe. Leurs cornes font antenne vers le ciel d’où elles captent des messages impénétrables au commun des fermiers.

 Quelles pensées, simples et inconnues, ruminent-elles sous leur front plat ? Cauchemars de luzerne, péché de pommes, dieu Taureau ? Les nuits de nouvelle lune, la Voie Lactée dessine entre leurs cornes noires des rivières égyptiennes où seuls peuvent boire les sages, patients comme elles. Volent-elles, la nuit, accouchant d’étoiles ?

 Puis au matin, éternelles, les vaches reviennent se poser dans le pré, broutant le peu de jours qui les séparent encore de leur destin. Est-ce cette ignorance qui nous les fait aimer, regrettant pour nous semblable aveuglement, nous qui savons combien notre pré est mesuré ? La peau tendre de leur naseau et leurs grands cils courbés sont à l’image de cette innocence et de la fragilité du monde.
 Elles seront toujours là, nuages blancs sur le ciel vert des prés, à dériver lentement au vent, semblables à elles-mêmes, cornes et sabots brillants dans la rosée du matin.
 

 Et moi, mangeur de veau, j’écris ces lignes dans le train, dans le train d’où je regarde passer les vaches.
 

Savigny, septembre 2007 - Texte et photos © Guy Robert