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Paisibles, les pattes plantées dans l’herbe, les vaches tondent
le pré, de l’autre côté de la haie, sans hâte
mais sans repos.
Leurs grands yeux de velours reflètent le ciel sans le
voir jamais. Tête baissée, l’herbe seule les occupe. Et dans
les vagues vertes de la prairie, elles promènent méthodiquement
leurs flancs rebondis de caravelle. |
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Jour et nuit, dans la pluie, dans le vent, sous le soleil, elles
sont là, comme des îles lentes et infatigables, comme si elles
existaient depuis que l’herbe existe. Leurs cornes font antenne vers le
ciel d’où elles captent des messages impénétrables
au commun des fermiers.
Quelles pensées, simples et inconnues, ruminent-elles sous
leur front plat ? Cauchemars de luzerne, péché de pommes,
dieu Taureau ? Les nuits de nouvelle lune, la Voie Lactée dessine
entre leurs cornes noires des rivières égyptiennes où
seuls peuvent boire les sages, patients comme elles. Volent-elles, la nuit,
accouchant d’étoiles ? |
Puis au matin, éternelles, les vaches reviennent se poser
dans le pré, broutant le peu de jours qui les séparent encore
de leur destin. Est-ce cette ignorance qui nous les fait aimer, regrettant
pour nous semblable aveuglement, nous qui savons combien notre pré
est mesuré ? La peau tendre de leur naseau et leurs grands cils
courbés sont à l’image de cette innocence et de la fragilité
du monde. |
Elles seront toujours là, nuages blancs sur le ciel vert
des prés, à dériver lentement au vent, semblables
à elles-mêmes, cornes et sabots brillants dans la rosée
du matin.
Et moi, mangeur de veau, j’écris ces lignes dans le train,
dans le train d’où je regarde passer les vaches.
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Savigny, septembre 2007 - Texte et photos
© Guy Robert
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