Juillet-Août 2008
Les autres N°

LINUTIL AU NOUVEAU-MEXIQUE (suite et fin)


3 - Pistes indiennes
 

A l’arrivée des européens sur les terres du Nouveau-Mexique, 2 grands courants de civilisation indienne cohabitent : les indiens sédentaires (tribu des « Pueblos ») et les indiens nomades (tribu des « Apaches »). Entre ces 2 modes d'existence, et ne voulant accepter ni l’un ni l’autre, les « Navajos » vivent d’élevage, de tissage… et de pillage. Longtemps révoltés contre les colons américains, ils sont finalement écrasés par les troupes de Kit Carson durant l’hiver 1864, au Canyon de Chelly. On force ensuite les 8000 Navajos de la tribu à une « Longue Marche ». Plus de 1000 kilomètres, au long desquels vont mourir d’épuisement 300 indiens, pour rejoindre Fort Summer où les rescapés seront incarcérés dans des conditions épouvantables durant… 4 ans !

A Taos, village des indiens sédentaires "Pueblos"
A l'origine, il n'y avait pas de porte, on utilisait les échelles pour entrer par le toit.
Lorsqu’on relâche les Navajos, en 1868, un grand nombre d’entre eux ont été décimés par la maladie, les mauvais traitements et le désespoir. Il faut attendre 1886, avec la reddition de Géronimo, dernier grand chef Apache, pour que les Américains considèrent la question indienne comme réglée. Des réserves sont alors créées, à leur usage et placées sous leur responsabilité. C’est dans ces enclos qu’ils tentent de survivre, encore aujourd’hui.

Pour autant, les Indiens ne nourriront pas de ressentiment particulier envers leurs oppresseurs. La Nation Américaine devient "leur" nation et, encore de nos jours, il n’y a pas d’américains plus patriotes que les indiens. Ainsi, pendant la Seconde Guerre Mondiale, les Navajos seront utilisés par l’armée afin d’assurer les communications dans leur langue complexe et indéchiffrable.

 


Tipi
Dans la banlieue de Taos, un indien
nostalgique des grandes courses
dans la prairie en a installé un
dans son jardin, près de sa maison.
 
Au Nouveau-Mexique, les réserves octroyées aux Indiens ont la particularité d’être, en grande partie, leurs propres terres ancestrales (ce qui n’est pas le cas pour les indiens de l’est des USA, par exemple, qui ont tous été déplacés). D’où un enracinement très fort de ces tribus au Nouveau-Mexique et une authenticité profonde dans leur mode de vie. Rejetés pour la plupart au pourtour des villes, où ils constituent une sorte de « ghetto » qui ne veut pas dire son nom, les indiens gèrent toutefois de manière indépendante les parcs touristiques et les réserves naturelles qui existent sur leurs territoires. Beaucoup d’entre eux, malgré la « way of life » américaine, le modernisme qui les touche, comme tout le monde, malgré la ségrégation et les pressions dont ils ont été victimes, continuent de pratiquer leurs rites religieux ancestraux, parallèlement au culte catholique qu’on leur a inculqué.
 

Bandelier National Monument
Parc national géré par les indiens. L' habitat est ici reconstitué. Les indiens sédentaires demeuraient dans la vallée.
Les grottes ouvertes dans la falaise étaient utilisées comme grenier. Les terres cultivables étaient... au sommet de la falaise !

La mondialisation aidant, ainsi que, peut-être, une certaine mauvaise conscience de l’Homme Blanc à leur endroit, la culture indienne (re)devient à la mode. D’ailleurs, aux US, on ne dit plus « Indians » mais « Native Peoples ». Une reconnaissance sémantique, à défaut d’autre chose…
 
Car socialement parlant, les « Native Peoples » demeurent malheureusement en marge. Ceux qui habitent les réserves vivent principalement de l’artisanat local et de l’accueil des touristes (perception des droits d’entrée, guide, restauration, commerces). Cela, c’est pour survivre et ce n’est pas négligeable (rappelons tout de même que le site de Monument Valley est entièrement détenu et géré par les indiens). Mais pour vivre, il y a la tradition. Car les indiens n’ont pas renié leurs ancêtres : sous leur chemise à carreaux et leur chapeau Stetson, au volant de leur 4X4 japonais ou devant leur écran plat de télévision, ils restent des indiens  fiers, ombrageux, hors du temps et du monde.

Pow Wow Albuquerque 2008
Vieux Chef indien

  Régulièrement, ils renouent avec leur culture et leur religion, souvent à l’abri des regards des non initiés, à l’occasion de fêtes traditionnelles. Pourtant, il est un rendez-vous incontournable, ouvert à tous celui-là, et qui rassemble 3000 indiens de 500 tribus de tous les Etats-Unis : le « Gathering of Nations Pow-wow » d’Albuquerque, au printemps. Le Pow-Wow n’est pas un spectacle, c’est un rassemblement d’indiens au cours duquel on chante, on prie, on danse.
 

Pow Wow Albuquerque 2008
Les indiens, toutes tribus mélangées, se retrouvent sur l'aire de danse

Les Indiens de tous les Etats d'Amérique passent 3 jours sur place, dans un immense amphithéâtre où on mange, on dort, on s’habille. Car chaque membre de la tribu se fait un devoir et un honneur de revêtir ses plus beaux habits de cérémonie, tenues et accessoires pour lesquels il s’est souvent endetté (une robe indienne en peau véritable coûte plusieurs milliers de dollars). Mais pour le Pow-Wow, et plus particulièrement celui d’Albuquerque, le plus important des USA, rien n’est trop beau. Outre les cérémonies traditionnelles, des concours de danse et de chants sont organisés, ainsi que l’élection d’une « Miss Indian World ».
 

Pow Wow Albuquerque 2008
Indien concourant pour le titre de meilleur danseur
Pow Wow Albuquerque 2008
Extraits sonores enregistrés en direct sur place
 Cliquer sur un titre pour l'écouter

Chant et tambour
8 à 10 indiens sont assis en rond autour d'un tambour qu'ils frappent en cadence tout en chantant. Cette discipline fait l'objet de concours entre tribus. On pense, non sans frémir, aux premiers pionniers américains qui entendaient cela à la nuit tombante...

Danses et incantations
Encore les tambours, mais cette fois le chef de cérémonie cite les tribus arrivant sur la piste, paroles ponctuées du célébre cri guttural des indiens.


Tout le monde peut assister au Pow-Wow, mais il faut reconnaître qu’il y a très peu de Yankees dans le public, encore moins d’européens et Linutil était sans doute le seul français.

Si Pow-Wow signifie «rassemblement », le point culminant de la cérémonie est bien cette union sur la piste des 3000 indiens descendus des gradins, qui dansent sur place, serrés les uns contre les autres, au son assourdissant et profond des tambours. On se dit alors que cette terre natale qu’on leur a volée, cette terre qu’ils ne possèderont jamais, elle est là, où qu’ils soient, elle est là, sous leurs pieds qui frappent le sol en cadence.

Note : Tous les documents photographiques et sonores mettant en scène les Indiens ont été réalisés sur place, durant le 25ème Pow-Wow d’Albuquerque d’avril 2008. Ce « reportage » termine la série des aventures de Linutil au Nouveau-Mexique.
Juillet 2008 - Guy Robert