En un jardin tranquille et policé
Vivaient paisiblement chacun de son côté
Un Lapin Bleu et un Ecureuil Roux.
Entre eux, point de dispute ou mauvais coups :
Le Lapin cultivait son champ,
Un bonnet magique le protégeant
Des méchants prédateurs et autres coyotes
Qui auraient convoité ses carottes ;
De son côté l’Ecureuil, avec force cabrioles,
Thésaurisait ses noisettes sans relâche,
La nature lui ayant donné le monopole
De se livrer à cette tâche.
Tout était pour le mieux
Dans le meilleur des jardins,
Si ce n’est que chacun d’eux
Finit par regarder chez son voisin.
Le lapin se met à rêver de noisettes,
L’Ecureuil se prend d’amour pour les carottes.
Par-dessus la barrière on se fait des courbettes,
On discute, on compare, on se flatte, on ergote.
Un jardin à deux, pourquoi pas ?
Mais alors qui commandera ?
« - Moi, car des deux je suis le plus futé !
- Non, moi, car mon jardin est mieux ratissé !
- Mes noisettes sont plus goûteuses !
- Mais ma culture est plus avantageuse ! »
Et ainsi de suite jusqu’à la tombée de la nuit
Et les jours suivants. Point d’accord, quel ennui !
Pendant qu’ils discutaient ainsi, carottes et noisettes
Pourrissaient lentement dans les tonneaux ;
Le jardin disparaissait sous les herbes follettes,
Car, tout à leur querelle, ils délaissaient leur propre
enclos.
Un tel désordre ne pouvait durer
Sans du Prince les foudres attirer.
Surgit donc un Loup, dépêché par l’Etat
Afin de mettre d’accord nos deux poilus.
« - Serrez-vous la patte et rompez là ,
Dit l’envoyé aux dents pointues.
Soyez coopératifs, qui peut le plus peut le mieux,
Embrassez-vous et chacun à votre tour,
Du jardin commun soyez le jardinier heureux,
Lapin aujourd’hui, Ecureuil le prochain jour. »
Mais l’une contre l’autre, les deux parties
Continuèrent de débattre sans répit,
Tentant même de soudoyer
L’arbitre messager.
« - Goûtez donc mes carottes, Maître Loup,
Dit le Lapin, et vous verrez après coup
Que je mérite bien d’être le chef ! »
« - Et mes noisettes, répliquait l’Ecureuil derechef,
Ne sont-elles pas et rondes et succulentes ?
Ne me vaudraient-elles pas, à elles seules, belle rente ? »
« - Arrêtez tous les deux, vous m’étourdissez,
Dit le Loup, et je ne veux point de vos cadeaux :
Vos noisettes me gâtent les crocs
Et vos carottes me font péter ;
Seul le steak saignant a l’heur de me plaire
Et tous deux ferez parfaitement mon affaire. »
Sur ce, le Loup les emmena dans les bois
Et... de la fin je vous laisse le choix.
Jean du Robinet
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