Juin 2009
Les autres N°


 
      
CERF... VOLE !
Le cerf-volant, autour et alentour


 
L’origine du mot
Le mot vient de"serp volante", en langue d’oc, signifiant "serpent volant". Cette dénomination renvoie aux légendes mettant en scène des serpents et des dragons, telles qu’elles circulaient au Moyen-Age. D’ailleurs, la forme des cerfs-volants  "classiques", avec leur longue queue se déployant dans le ciel comme un serpent ondoyant, semble conforter cette étymologie.
Malgré l’orthographe, cela n’a donc rien à voir avec le cerf, ma biche ! Au XVIIème siècle, lorsqu’on traduisit le "serp-volante" en français de chez nous, "serp" et "cerf" se prononçant de la même façon, on écrivit faussement "cerf-volant". Il ne faut pas confondre non plus notre "cerf-volant" en bois et en papier avec l’insecte "cerf-volant" ou lucane. Car cette fois, c’est bien la ressemblance des mandibules du lucane avec les bois du cerf qui a donné son nom à la petite bête.
 
Les records
- Record en hauteur :
   9740 m
- Nombre de cerfs-volants attachés les uns aux autres (ce qu’on appelle un "train") :
 11.284
- Plus grande surface de voilure :
  1000 m2
- Durée de vol ininterrompu :
  180 heures
 
De tout un peu
- Marco Polo, dans ses récits de voyage, raconte que les Chinois construisaient des cerfs-volants capables d’enlever un homme du sol et de l’emporter dans les airs. Le rêve d’Icare enfin réalisé ! Il ne parle pas de l’atterrissage…
- Au Moyen-Orient, on utilise des petits cerfs-volants dont on enduit le fil d’attache de poudre de verre. Le but est alors de couper le fil du cerf-volant de son voisin. Cette pratique de combat, devenue sport national et populaire, a inspiré le film remarquable "Les cerfs-volants de Kaboul".
- En France, on compte 2 manifestations importantes : le Festival International de Dieppe et la Rencontre Internationale de Berck. Là, il ne s’agit pas de combats dans les airs, mais d’une présentation traditionnelle des plus beaux modèles, des plus grands ensembles d’engins, des figures les plus acrobatiques…
- Enfin, faut-il le rappeler, les cerfs-volants à caisson (c’est-à-dire ceux dont la cellule de vol forme un parallélépipède), ont donné naissance aux premiers avions (en bois, en toile et à caissons, eux aussi).
 
Arthur Batut (1846-1918)
Arthur Batut, qui le connaît ? Et pourtant, c’est le pionnier, en France, de la photo par cerf-volant (appelée également "photo cervolisme" ou "Kapisme"). Si les premières photos aériennes ont été réalisées en ballon par Nadar, au-dessus de Bièvres en 1858, celles en cerf-volant sont plus provinciales et plus récentes, puisqu’elles ont été prises en 1887 par Arthur Batut au-dessus de Labruguière (Tarn) où il a dorénavant son musée. L’intérêt du procédé, par rapport à d’autres, saute aux yeux, si on peut dire : c’est simple et ça ne coûte presque rien ! De la toile, quelques baguettes de bois, un peu de vent et un appareil photo, bien sûr. ! A l’époque, le déclenchement de l’appareil était provoqué… par une mèche qu’on allumait. Maintenant, l’appareil est numérique et télécommandé. Mais toujours aucun risque pour le pilote qui demeure tranquillement au sol ! C’est beau la technique…
 
Benjamin Franklin (1706-1790)
Ce savant humaniste, américain, homme politique et ambassadeur des Etats-Unis en France, utilisa le cerf-volant pour prouver le caractère électrique de la foudre, en 1750. Pendant un orage, il suspendit une clef de métal à un cerf-volant… et attendit. Cela déboucha sur l’invention du paratonnerre, dont il installera lui-même quelques spécimens. Plus tard cela inspire également un épisode de la BD "Léonard est un génie". Et justement, Franklin est un génie. Non content d’être un des premiers à monter en montgolfière, il invente le "glassharmonica", instrument de musique composé de différents verres que l’on frotte avec les doigts (Mozart a écrit pour cet instrument !). Il invente également les lunettes à double foyer et le poêle à feu continu. Il est également le premier à cartographier le courant du Gulf Stream (symbole des relations qu’il tissera, en tant que diplomate, entre l’Amérique et l’Europe ?). Humaniste, toutes ses inventions il les place dans le domaine public, afin que tout le monde en profite. Sur la fin de sa vie, il militera pour l’abolition de l’esclavage et libérera ses propres esclaves pour donner l’exemple. Avant de mourir, il dira qu’il préfère qu’on dise de lui "qu’il a eu une vie utile" plutôt "qu’il est mort riche"
Un grand bonhomme et un grand américain.
Avec le soleil revenu, les jeux de plein air et d’été reprennent leurs droits.
Enfants, à la campagne, c’était le temps des cerfs-volants.

Quand arrivaient les vacances, et aussitôt débarqués de la capitale, nous ouvrions la vieille malle à jouets et en extirpions difficilement notre cerf-volant, emmêlé depuis l’an dernier dans ses fils et ses baguettes comme un insecte poussiéreux. Pressant contre notre cœur l’oiseau de papier nous courrions dans le pré, sous le soleil. L’herbe y était déjà craquante, puisqu’en ce temps-là, le temps de nos souvenirs d’enfance, les étés sont toujours beaux ! On attachait le cerf-volant à sa ficelle. Car, comme les poètes, que les contraintes de la versification poussent à se surpasser, le cerf-volant ne monte dans le ciel que s’il est solidement rattaché à la terre. Voilà un principe à méditer ! Mais à l’époque, notre philosophie, nous la puisions plutôt dans les pages du Journal de Mickey.

Après maints efforts, cavalcades, chutes et cris, nous touchions enfin au but : notre aile volante daignait prendre le vent et s’élever dans les airs. Notre cerf-volant n’était pas un modèle de compétition, comme ceux qu’on voit maintenant sur les plages. Avec lui, pas de figures acrobatiques ou de combats aériens. Non, juste le plaisir de le faire décoller puis de le tenir dans l’air des heures durant, si le vent le permettait, lui laissant filer de la ficelle (aie ! la brûlure sur les doigts !) pour qu’il s’élève encore. Mais en fin de compte, le cerf-volant passait plus de temps dans l’herbe qu’à tutoyer les nuages. Faut dire que les vents étaient souvent capricieux et notre patience mise à mal par les tentatives réitérées de décollage. La manœuvre était pourtant rodée. Tandis que l’un tenait le cerf-volant au-dessus de sa tête, l’autre dévidait une petite dizaine de mètres de fil. Quand tout le monde était prêt, face au vent, un coup sec et synchronisation ! : celui qui tenait le cerf-volant le lâchait en le poussant vers le haut, et celui qui tenait la ficelle courrait contre le vent en tirant l’engin. Cette méthode était infaillible, du moins dans les manuels. Parfois, l’un et l’autre (le cerf-volant et le coureur) achevaient leur trajectoire dans les chardons. Mais parfois aussi se produisait le miracle attendu : le cerf-volant montait comme une flèche dans l’azur et s’y stabilisait doucement. On entendait alors siffler le vent dans le cordage qui dessinait une large courbe au-dessus des prés. Des oiseaux curieux venaient voleter autour de ce collègue étrange et captif, comme pour le délivrer. Bonne intention mais mauvaise idée. Pour les cerfs-volants, la liberté, c’est la mort ! Mais il n’y avait nul besoin d’intervention extérieure pour que le drame survienne. Une rafale vicieuse, un nœud défaillant, un instant de distraction et, catastrophe, l’engin ingouvernable piquait vers le sol, voile frémissante, comme un kamikaze psychopathe. Là, c’était immanquable : si dans le pré il n’y avait qu’un seul arbre, le cerf-volant choisissait de s’y planter, délibérément. Branle-bas de combat ! Toutes les ressources et les bonnes (ou mauvaises) volontés étaient réquisitionnées : échelles, cordes, escabeaux, ébrancheurs, cueilleurs de pommes, parents, amis, voisins. L’après-midi se terminait alors dans la sueur et les égratignures. Au prix d’escalades périlleuses et d’accrocs dans les culottes, on récupérait enfin l’aérodyne capricieux ou ce qu’il en restait. Nous pansions ses plaies et les nôtres pour pouvoir recommencer le lendemain.

Dans ces prés de notre enfance, nous eûmes nos heures de gloire, un peu comme au début de l’aviation, les premiers faucheurs de marguerites, toute proportion gardée…

Ainsi, lors du deuxième ou troisième vol de notre nouveau cerf-volant « Mickey », une énorme tête en toile plastique, avec deux oreilles noires et un sourire en faucille, le fil cassa. Au lieu de tomber à pic, comme tout bon cerf-volant, celui-ci se mit à planer et à dériver le long du vent,  barque sans gouvernail et sans pilote. Bientôt, il disparut à notre vue, derrière la première rangée d’arbres un peu hauts, qu’il survola avec grâce. On le chercha longtemps, avant de le repérer, au bord d’une clairière, accroché au sommet d’un peuplier, toujours aussi souriant, mais hélas irrécupérable. Les jours suivants, nous lui rendîmes visite régulièrement, assistant à sa longue agonie : coincé dans un berceau de branches qui allait devenir son cercueil, il ne bronchait plus. Jusqu’à ce que l’été suivant, une tempête nous rende sa dépouille en morceaux. Mickey, moins souriant qu’à l’ordinaire et l’oreille basse, fut inhumé dans la crypte des « objets inutiles à conserver pieusement », au grenier. Gloire aux héros disparus au combat !

Une autre fois, un autre cerf-volant. Au moment de l’envol, une sauterelle s’agrippe à la toile de l’engin. Premier vol habité ! Après quelques tours dans le ciel, retour de l’appareil : la sauterelle y est toujours cramponnée, un peu étourdie et engourdie par le voyage, sans doute ! Reprenant vite ses esprits, elle bondit d’un saut élastique et disparaît dans l’herbe. Je me plais à l’imaginer regagnant son foyer :
« - Savez-vous, mes sœurs, que le pré où nous vivons est beaucoup plus petit que nous le croyions ? Autour de lui, il y a d’autres prés, semblables aux nôtres et où sautent peut-être d’autres soeurs comme nous, et au-delà d’autres prés, d’autres jardins, jusqu’à l’infini. Non, mes chères sœurs, notre pré n’est pas le monde, ce n’est même pas le centre du monde. La vérité est ailleurs… »
Voilà ce que dit la sauterelle à ses congénères. Ce qui lui valut peut-être de devenir le Galilée de son espèce, menacé d’excommunication, rejeté par son clan, promis au bûcher, sauterelle-Icare, qui n’avait jamais rêvé d’un saut si fabuleux, condamnée à demeurer dans son trou, comme un vulgaire grillon. « Et pourtant, elle vole… ».

Autre « exploit », le dernier. Un jour, par grand vent, on parvint à dérouler 900 mètres de ficelle ! La tension de la ligne dressée contre le ciel était telle qu’on avait besoin de ses deux mains pour retenir le fougueux attelage. Le cerf-volant, un modèle en toile, à caisson, montait sans relâche et sans faillir, et sans pitié pour nos petits bras. 900 mètres ! Et de la ficelle ! Car en ces temps reculés, le nylon ne faisait pas partie de l’équipement. Malgré le poids, le cerf-volant demeura, gaillard, au bout du ciel. Oh ! bien sûr, compte tenu de l’angle formé par le fil, il ne devait pas se trouver à plus de 200 ou 300 mètres de haut, pas encore dans les nuages, notre objectif secret et ultime et que nous visions en clignant des yeux dans le soleil. Mais tout de même ! Si on savait où chercher dans le ciel, on pouvait alors le voir du village voisin, notre cerf-volant, et de tous les hameaux environnants. Une petite gloire, due en grande partie à un courant ascendant qu’on ne retrouva jamais plus. Pour ramener l’oiseau à terre, sans casse, il fallut plus d’une heure d’effort, en se relayant. L’appareil finit par atterrir, tout frissonnant encore de son ascension et comme mouillé par l’altitude.

La pelote de ficelle ayant permis cet exploit repose encore de nos jours dans les profondeurs du grenier. Elle attend patiemment qu’on lui attache d’autres rêves fous pour les confier au vent et les emporter dans le ciel, haut, là-haut, toujours plus haut…



 
 
 


 
 
 
 

© Guy Robert - Juin 2009