Dans les années cinquante, au siècle dernier donc, les
magasins de jouets proposaient des jeux superbes et parfois dangereux.
C’était le temps où on pouvait faire du patin à roulettes
sans casque, où on rentrait seul de l’école à la nuit
tombée, où on suçait des roudoudous farcis de colorants
dans leur petite boîte ronde en bois, le temps où on recevait
parfois une gifle si on faisait une bêtise, si, si… La préhistoire,
quoi. Parmi les jeux maintenant interdits, il y avait… la panoplie du
petit chimiste ! Celle qu’a retrouvée Linutil dans son grenier
n’a pas de marque, seulement un titre, en lettres d’or sur le couvercle
noir : |
Dès l’ouverture de la boîte, on entrait dans le vif du
sujet : éprouvettes, cornue, lampe à alcool, produits divers
et variés aux noms évocateurs : sulfocyanure de potassium,
alun, diméthylglyoxime, chlorure de calcium… Il y avait même
de l’acide chlorhydrique ! |
Un livret explicatif accompagnait le coffret. On pouvait ainsi s’initier
à la production d’hydrogène (par action de l’acide chlorhydrique
sur la limaille de fer) et en tester la présence détonante.
Comme disait ingénument le manuel : « Approchez une flamme
de l’éprouvette contenant l’hydrogène : le gaz s’enflamme
en produisant un sifflement »… et les parents d’accourir en hurlant
au bruit de l’explosion !
D’une manière générale, le mode d’emploi dispensait
nombre de judicieux conseils, comme on le voit ici, essentiellement destinés
à sauvegarder la paix familiale. |
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Au titre des expériences, il y avait aussi l’encre sympathique,
ce grand classique : une solution de chlorure de fer que l’on exposait
quelques heures à l’air, le temps qu’elle s’oxyde en un beau jaune
pâle.
On écrivait ensuite avec ce liquide. Le message secret était
révélé à l’aide d’un coton imprégné
de ferrocyanure de potassium, heureusement livré dans le coffret,
car difficilement trouvable chez le marchand de couleurs, comme on disait
à l’époque.
C’était miraculeux. Dans toutes ces expériences chimiques,
il y avait un peu de magie. |
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Affublé d’une blouse blanche, tout le matériel enfin
installé sur la table, on devenait le savant fou dans son laboratoire,
tel qu’on le voit dans les illustrés, et c’était cela l’important.
Oh, bien sûr, on pouvait s’instruire, distinguer une base d’un
acide à l’aide du « papier tournesol », fabriquer un
hygromètre en peignant un dessin avec une solution saturée
de chlorure de cobalt. Mais l’essentiel c’était de « faire
comme si »... Cela ne s’appelait pas une « panoplie de petit
chimiste » pour rien : on se déguisait en Lavoisier, en Berthelot.
On travaillait dans notre laboratoire secret à quelque invention
qui allait révolutionner le monde ou enfumer la maison. |
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C’était l’aventure, sans doute assez proche, toute proportion
gardée, de ce que nos ancêtres connurent avec l’alchimie :
l’expérimentation mystérieuse et la découverte de
soi-même. Car si ces petites éprouvettes, où les précipités
d’iodure de plomb fleurissaient comme par miracle, n’ont pas fait de nous
des scientifiques et encore moins des savants, elles nous ont ouvert les
portes du rêve. |
Et qui sait si, au détour d’une manipulation hasardeuse, nous
n’avons pas trouvé, sans le savoir, la Pierre Philosophale et l’Elixir
de Longue Vie, la pierre qui change nos souvenirs d’enfance en or pur et
l’élixir qui nous les fait revivre éternellement ? |
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