Février 2010
Les autres N°

Dans les années cinquante, au siècle dernier donc, les magasins de jouets proposaient des jeux superbes et parfois dangereux. C’était le temps où on pouvait faire du patin à roulettes sans casque, où on rentrait seul de l’école à la nuit tombée, où on suçait des roudoudous farcis de colorants dans leur petite boîte ronde en bois, le temps où on recevait parfois une gifle si on faisait une bêtise, si, si… La préhistoire, quoi. Parmi les jeux maintenant interdits, il y avait… la panoplie du petit chimiste ! Celle qu’a retrouvée Linutil dans son grenier n’a pas de marque, seulement un titre, en lettres d’or sur le couvercle noir :


Dès l’ouverture de la boîte, on entrait dans le vif du sujet : éprouvettes, cornue, lampe à alcool, produits divers et variés aux noms évocateurs : sulfocyanure de potassium, alun, diméthylglyoxime, chlorure de calcium… Il y avait même de l’acide chlorhydrique !
Un livret explicatif accompagnait le coffret. On pouvait ainsi s’initier à la production d’hydrogène (par action de l’acide chlorhydrique sur la limaille de fer) et en tester la présence détonante. Comme disait ingénument le manuel : « Approchez une flamme de l’éprouvette contenant l’hydrogène : le gaz s’enflamme en produisant un sifflement »… et les parents d’accourir en hurlant au bruit de l’explosion !

D’une manière générale, le mode d’emploi dispensait nombre de judicieux conseils, comme on le voit ici, essentiellement destinés à sauvegarder la paix familiale.

Au titre des expériences, il y avait aussi l’encre sympathique, ce grand classique : une solution de chlorure de fer que l’on exposait quelques heures à l’air, le temps qu’elle s’oxyde en un beau jaune pâle.

On écrivait ensuite avec ce liquide. Le message secret était révélé à l’aide d’un coton imprégné de ferrocyanure de potassium, heureusement livré dans le coffret, car difficilement trouvable chez le marchand de couleurs, comme on disait à l’époque.

C’était miraculeux. Dans toutes ces expériences chimiques, il y avait un peu de magie.

Affublé d’une blouse blanche, tout le matériel enfin installé sur la table, on devenait le savant fou dans son laboratoire, tel qu’on le voit dans les illustrés, et c’était cela l’important.

Oh, bien sûr, on pouvait s’instruire, distinguer une base d’un acide à l’aide du « papier tournesol », fabriquer un hygromètre en peignant un dessin avec une solution saturée de chlorure de cobalt. Mais l’essentiel c’était de « faire comme si »... Cela ne s’appelait pas une « panoplie de petit chimiste » pour rien : on se déguisait en Lavoisier, en Berthelot. On travaillait dans notre laboratoire secret à quelque invention qui allait révolutionner le monde ou enfumer la maison.

C’était l’aventure, sans doute assez proche, toute proportion gardée, de ce que nos ancêtres connurent avec l’alchimie : l’expérimentation mystérieuse et la découverte de soi-même. Car si ces petites éprouvettes, où les précipités d’iodure de plomb fleurissaient comme par miracle, n’ont pas fait de nous des scientifiques et encore moins des savants, elles nous ont ouvert les portes du rêve.
Et qui sait si, au détour d’une manipulation hasardeuse, nous n’avons pas trouvé, sans le savoir, la Pierre Philosophale et l’Elixir de Longue Vie, la pierre qui change nos souvenirs d’enfance en or pur et l’élixir qui nous les fait revivre éternellement ?
 

Matériel d’époque appartenant à l'auteur - Photos et texte de Guy Robert - février 2010