Juin 2010
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PATHEORAMA, LE CINEMA DE GRAND'PAPA


C’est en 1920-1925. La maison Pathé, déjà fortement investie dans ce qui deviendra bientôt l’industrie cinématographique, commercialise un petit appareil à destination des jeunes spectateurs : le "Pathéorama". Il s’agit d’une lunette portative permettant, en la dirigeant vers la lumière, de visionner des images fixes. Ces films, "ininflammables" précise la réclame, se placent très facilement dans l’appareil ; un bouton commande une roue en caoutchouc qui fait avancer le film une image après l’autre.
A l’époque, le catalogue proposé par la firme au coq chantant est bien fourni : 275 titres pour la Noël 1924. On y trouve principalement des récits d’aventure en noir et blanc ou en sépia, des contes et des fables, des images photographiques de tous les sites touristiques principaux de la planète. Par exemple et dans le désordre : Le Chat Botté ; Les Fables de La Fontaine ; Les Châteaux de la Loire ; Félix le Chat au Pôle Nord ; Ascension du Mont-Blanc ; La fabrication des bonbons de chocolat ; Département d'Alger, quelques jours d'excursion ; Sites Morvandiaux ; La vie au harem…

Nous ne résistons pas au plaisir de reproduire ci-contre un extrait du film sépia "Tour du monde d’un gamin de Paris" : il s'agit de l’épisode intitulé "Les Bandits de la mer".
 
 

Imaginons donc l’enfant des années 20 chargeant son Pathéorama et le levant vers la lumière de la lampe, au-dessus de la table de la cuisine. D’un œil, le voilà transporté à l’autre bout de la terre. Comme au cinéma, s’ouvre devant lui le théâtre du monde et l’isolement procuré par la lunette lui permet de plonger au cœur de l’aventure, sans plus entendre le petit frère qui pleure, la radio du voisin ou la voix de sa mère qui l’appelle pour la soupe. Renouvelant le style du cinéma muet, chaque image était précédée de son panneau explicatif. Ceci amenait le jeune spectateur à prendre goût à la lecture et, peut-être, à ouvrir plus tard un de ces livres dont était extraite l’aventure qu’il venait de visionner. Eh oui ! On avait déjà le sens de la publicité en ce temps-là et la dernière vignette projetée donnait les références du livre en question, à se procurer au plus vite dans toutes les bonnes librairies. A la fin du film, il y avait également une mention, obscure de nos jours, ce qui est un comble pour une visionneuse : "Projetez les films Pathéorama avec le Cocorico". Le Cocorico en question, fine allusion à l’emblème de la marque Pathé (le coq) était un projecteur électrique ! En fait c’était une simple boite à lumière dans laquelle il suffisait de glisser le Pathéorama, lequel assurait l’optique de la projection, le chargement et l’avance du film. Astucieux ! Ainsi équipé, le "Cocorico" assurait une image projetée d’un mètre de large et devenait une véritable lanterne magique. Ah ! Le mot est lâché : "magique" !
 

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, si le cinéma est relativement récent, la lanterne magique, elle, est une invention très ancienne. Platon et son mythe de la caverne n’est-il pas à l’origine de toutes les techniques de projection lumineuse ? Au Moyen-Age, déjà, les colporteurs présentaient des spectacles de lanterne. Projetées sur la toile de leur carriole, l’apparition soudaine des images, qui semblait relever de la magie, donna son nom à l’appareil qui le permettait : la lanterne magique. Mais nul n’était à l’abri d’une accusation de sorcellerie et certains projectionnistes y brûlèrent leurs ailes, si l’on peut dire.
 

A la cour du Roi Soleil, on organisait des séances de lanterne magique. Les projectionnistes d'alors étaient d'habiles bricoleurs. Ils parvenaient, avec beaucoup d'ingéniosité, à faire se mouvoir les personnages lumineux. Il s'agissait souvent de squelettes, représentant la Mort et qui, paradoxe à méditer, prenaient vie sur les murs tendus de toile, au ravissement extrême des spectateurs invités.

Un peu plus tard, s'ouvrirent des cabinets de projection à destination du "commun", le grand public de l'époque. C'était-là les premières salles de cinéma, avant la lettre. On y  admirait, entre autres fantasmagories, l'apparition du diable. Celle-ci était agrémentée de bruitages (vent, tonnerre) et d'effets scéniques propres à saisir d'effroi le public (fumées, éclairs). La 3D et le spectacle total au XVIIIème siècle ! De nos jours, nous n'inventons plus grand-chose, même si nous croyons le contraire : nous recyclons ce qu'ont découvert nos ancêtres et adoptons leurs trouvailles à nos technologies actuelles.
 

Ainsi, en 1920, le Pathéorama mettait à la portée des enfants les prodiges et les charmes de la lanterne magique qu'avaient appréciés, deux siècles plus tôt, les nobles à la Cour et le peuple les jours de foire.
 

Dernier détail qui marque bien l'époque : la couleur. Pour des raisons à la fois techniques et économiques, il est hors de question de commercialiser des films en couleur. Les images publiées en série pour les lanternes magiques et pour le Pathéorama, sont en Noir et Blanc ou en lavis de Sépia. Pourtant, la couleur étant un attrait de plus et donc un argument de vente supplémentaire, les industriels vont trouver la solution : peindre les images. Ainsi, Pathé emploie dans ses ateliers des dizaines d'ouvrières pour colorer à la main les films fixes destinés à la projection ! Cela se fait avec quelques couleurs judicieusement choisies et à l'aide de pochoirs. Plus tard, on industrialise quelque peu le procédé en utilisant une sorte de pantographe qui reproduit les mouvements du pinceau de l'ouvrière, permettant ainsi de colorer plusieurs copies du film à la fois.
 

C'était il y a quelques 90 ans…

Le temps aidant, les films fixes sont passés de mode. Le cinéma sonore, puis la télévision sont venus occuper la place. Pourtant, les vues fixes à travers une lunette telle que le Pathéorama conservent un charme irremplaçable : on s'immerge dans l'image, on déroule la narration à son propre rythme, on est un peu le maître du jeu. Nos technologies actuelles, DVD, consoles de jeux, Haute-Définition,  cinéma et bientôt télévision en relief, ont de quoi impressionner, mais elles n'ont plus la simplicité et l'imaginaire du Pathéorama.

Faudrait-il le réinventer ?

 

 

Le Pathéorama présenté ici appartient au père de l'auteur, lorsqu'il était enfant. Les références historiques sont issues du catalogue officiel de l'exposition "Lanterne et film peint" de Laurent Mannoni.
Copyright Guy Robert - Juin 2010