Nous ne résistons pas au plaisir de reproduire ci-contre un
extrait du film sépia "Tour du monde d’un gamin de Paris"
: il s'agit de l’épisode intitulé "Les Bandits de la mer".
Imaginons donc l’enfant des années 20 chargeant son Pathéorama
et le levant vers la lumière de la lampe, au-dessus de la table
de la cuisine. D’un œil, le voilà transporté à l’autre
bout de la terre. Comme au cinéma, s’ouvre devant lui le théâtre
du monde et l’isolement procuré par la lunette lui permet de plonger
au cœur de l’aventure, sans plus entendre le petit frère qui pleure,
la radio du voisin ou la voix de sa mère qui l’appelle pour la soupe.
Renouvelant le style du cinéma muet, chaque image était précédée
de son panneau explicatif. Ceci amenait le jeune spectateur à prendre
goût à la lecture et, peut-être, à ouvrir plus
tard un de ces livres dont était extraite l’aventure qu’il venait
de visionner. Eh oui ! On avait déjà le sens de la publicité
en ce temps-là et la dernière vignette projetée donnait
les références du livre en question, à se procurer
au plus vite dans toutes les bonnes librairies. A la fin du film, il y
avait également une mention, obscure de nos jours, ce qui est un
comble pour une visionneuse : "Projetez les films Pathéorama
avec le Cocorico". Le Cocorico en question, fine allusion à
l’emblème de la marque Pathé (le coq) était un projecteur
électrique ! En fait c’était une simple boite à lumière
dans laquelle il suffisait de glisser le Pathéorama, lequel assurait
l’optique de la projection, le chargement et l’avance du film. Astucieux
! Ainsi équipé, le "Cocorico" assurait une image projetée
d’un mètre de large et devenait une véritable lanterne
magique. Ah ! Le mot est lâché : "magique" !
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, si le cinéma
est relativement récent, la lanterne magique, elle, est une invention
très ancienne. Platon et son mythe de la caverne n’est-il pas à
l’origine de toutes les techniques de projection lumineuse ? Au Moyen-Age,
déjà, les colporteurs présentaient des spectacles
de lanterne. Projetées sur la toile de leur carriole, l’apparition
soudaine des images, qui semblait relever de la magie, donna son nom à
l’appareil qui le permettait : la lanterne magique. Mais nul n’était
à l’abri d’une accusation de sorcellerie et certains projectionnistes
y brûlèrent leurs ailes, si l’on peut dire.
A la cour du Roi Soleil, on organisait des séances de lanterne
magique. Les projectionnistes d'alors étaient d'habiles bricoleurs.
Ils parvenaient, avec beaucoup d'ingéniosité, à faire
se mouvoir les personnages lumineux. Il s'agissait souvent de squelettes,
représentant la Mort et qui, paradoxe à méditer, prenaient
vie sur les murs tendus de toile, au ravissement extrême des spectateurs
invités.
Un peu plus tard, s'ouvrirent des cabinets de projection à destination
du "commun", le grand public de l'époque. C'était-là
les premières salles de cinéma, avant la lettre. On y
admirait, entre autres fantasmagories, l'apparition du diable. Celle-ci
était agrémentée de bruitages (vent, tonnerre) et
d'effets scéniques propres à saisir d'effroi le public (fumées,
éclairs). La 3D et le spectacle total au XVIIIème siècle
! De nos jours, nous n'inventons plus grand-chose, même si nous croyons
le contraire : nous recyclons ce qu'ont découvert nos ancêtres
et adoptons leurs trouvailles à nos technologies actuelles.
Ainsi, en 1920, le Pathéorama mettait à la portée
des enfants les prodiges et les charmes de la lanterne magique qu'avaient
appréciés, deux siècles plus tôt, les nobles
à la Cour et le peuple les jours de foire.
Dernier détail qui marque bien l'époque : la couleur.
Pour des raisons à la fois techniques et économiques, il
est hors de question de commercialiser des films en couleur. Les images
publiées en série pour les lanternes magiques et pour le
Pathéorama, sont en Noir et Blanc ou en lavis de Sépia. Pourtant,
la couleur étant un attrait de plus et donc un argument de vente
supplémentaire, les industriels vont trouver la solution : peindre
les images. Ainsi, Pathé emploie dans ses ateliers des dizaines
d'ouvrières pour colorer à la main les films fixes
destinés à la projection ! Cela se fait avec quelques couleurs
judicieusement choisies et à l'aide de pochoirs. Plus tard, on industrialise
quelque peu le procédé en utilisant une sorte de pantographe
qui reproduit les mouvements du pinceau de l'ouvrière, permettant
ainsi de colorer plusieurs copies du film à la fois.
C'était il y a quelques 90 ans…
Le temps aidant, les films fixes sont passés de mode. Le cinéma
sonore, puis la télévision sont venus occuper la place. Pourtant,
les vues fixes à travers une lunette telle que le Pathéorama
conservent un charme irremplaçable : on s'immerge dans l'image,
on déroule la narration à son propre rythme, on est un peu
le maître du jeu. Nos technologies actuelles, DVD, consoles de jeux,
Haute-Définition, cinéma et bientôt télévision
en relief, ont de quoi impressionner, mais elles n'ont plus la simplicité
et l'imaginaire du Pathéorama.
Faudrait-il le réinventer ?
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