1. La clairière
Au cœur d'une forêt de la Puisaye, dans l'Yonne, les oiseaux se
taisent. Pourtant le jour vient de se lever et c'est justement l'heure
où le petit peuple des bois se réveille, chante et piaille
à tout va.
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Mais aujourd'hui, le silence, pas un bruit. Pas un bruit ? Eh
bien c'est vite dit, car on entend soudain des voix qui s'interpellent,
des marteaux qui cognent le fer, des ciseaux qui frappent la pierre. Quel
est donc ce remue-ménage ?
Des ouvriers sont à l'œuvre, charriant des pierres, levant des
poutres, mesurant, creusant, taillant. Et là, entre les arbres,
où s'ouvre une vaste clairière, s'élèvent les
premiers pans de murs d'un château fort. Sommes-nous donc de retour
au Moyen-Age, au temps de Philippe Auguste ? Point du tout. Nous sommes
à Guédelon, dans l'Yonne, en l'an de grâce … 2010 ! |
2. Un rêve d'enfant et une expérience
scientifique
En 1997, Michel Guyot (propriétaire du Château de Saint-Fargeau,
à quelques kilomètres d'ici) et Marilyne Martin lancent le
projet un peu fou de construire de toute pièce, avec les matériaux,
les moyens et les techniques du XIIIème siècle, un château
fort sur le modèle de ceux qui furent bâtis en France à
cette époque.
Le chantier médiéval
de Guédelon en 2004
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"Construire pour comprendre", tel est l'objectif premier de ce chantier.
Une association est créée autour de ces fondateurs :
"Les Compagnons-Bâtisseurs de Puisaye", qui recrute des "oeuvriers"
encadrés par des maîtres compagnons dans chacun des métiers
nécessaires au chantier. Au fil des ans, des volontaires s'y joignent
régulièrement et tout un chacun peut, pendant ses vacances,
s'initier à la taille des tuiles de bois ou au gâchage du
mortier.
Le chantier en 2006
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Un comité d'éthique, formé de membres du CNRS, du
Collège de France et d'architectes médiévistes, assure
l'authenticité des modes opératoires. Car ici, point de perceuses
électriques ni de grues motorisées. Tout se passe, se fabrique
et se construit comme au Moyen-Age. Les seules dérogations acceptées
sont celles nécessitées par la réglementation du travail
et la sécurité, telles qu'on les applique à notre
époque. Ainsi par exemple, les ouvriers portent tous des chaussures
de sécurité et les tailleurs de pierre sont tenus d'utiliser
des lunettes de protection.
... et maintenant, en 2010
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C'est par la résolution des problèmes qui se posent quotidiennement,
au fur et à mesure de l'avancement du chantier, que progressent
l'archéologie et l'histoire médiévale, permettant
ainsi de valider (ou non) les hypothèses sur les méthodes
de construction de l'époque. Enfin, ce projet n'étant pas
uniquement l'affaire de spécialistes, il poursuit également
un but pédagogique. Pour cela, et dès 1998, on a ouvert le
chantier au public afin que le visiteur puisse observer les techniques
mises en oeuvre et interroger les artisans au travail.
3. Les coteries de Guédelon
On appelle ainsi, au XIIIème siècle, les différents
corps de métier appelés à intervenir dans la construction.
Le chantier fonctionnant, comme à l'époque, en autarcie complète,
les métiers y sont nombreux et variés.
Gabarits en bois pour la taille
des pierres |
- A tout seigneur, tout honneur,
nous commencerons par l'architecte. En fait, au Moyen-Age,
cette appellation n'est pas encore en usage, on parle seulement de "maître
d'œuvre". Le papier n'existant pas et le parchemin étant très
coûteux, les plans sont d'abord dans la tête du maître
d'œuvre. Pour les présenter, les expliquer et les faire réaliser,
ils sont ensuite tracés sur des planches de bois ou sur le sable.
Parfois des épures sont dessinées sur les murs existants,
quant à la taille exacte des pierres, elle est réalisée
grâce à des gabarits en bois, numérotés, classés
et conservés sur des étagères, comme dans une bibliothèque.
On trace donc les plans directement sur le terrain, à l'aide de
piquets et de cordes. |
L'instrument du maître d'œuvre, celui qui le symbolise et le
distingue est la "virga" (la règle) appelée également
"pige". Les mesures utilisées se réfèrent au corps
humain. On a donc successivement :
- la paume (largeur de la main) équivalant
à 7,64 de nos centimètres
- la palme (distance entre l'index et le petit doigt tendus)
:12,36 cm
- l'empan (entre l'auriculaire et le pouce) : 20 cm
- le pied : 32,36 cm
- la coudée (longueur de l'avant-bras) : 52,36
cm
On notera que l'addition de 2 mesures consécutives donne la suivante
(1
paume + 1 palme = 1 empan). Ce système, qui donne lieu à
interprétation d'une province à l'autre, perdura jusqu'en
1789, année de la Révolution et… du mètre étalon.
Un autre instrument universellement utilisé sur le chantier est
la "corde à 13 nœuds" dont chaque nœud est distant d'une coudée
de son voisin. Avec cette corde, on peut dessiner toutes les figures géométriques
utilisées dans la construction : triangle, rectangle, cercle…
A Guédelon, les bâtisseurs actuels n'ont employé
pour leurs mesures que ces seuls outils.
La cabane des essarteurs dans la
forêt.
Elle est construite en torchis
et tuiles de bois |
- Les essarteurs
:
ils ont défriché la clairière où le château
doit être édifié. Ils abattent ensuite les arbres nécessaires
à la construction. Après séchage, ces fûts seront
débités en poutres, planches… par les scieurs de long. Au
nombre de deux, celui qui est au-dessus du tronc guide la lame et est appelé
le chevrier ; son compagnon, en bas, est le renardier et
apporte sa force musculaire à l'opération en tirant sur la
scie. Les essarteurs préparent également le charbon de bois
qui alimentera la forge et le four à chaux. |
- Les carriers
: ce sont eux qui, à coups de pic et de massette extraient les pierres
qui entreront dans la construction. A Guédelon, le chantier du château
a judicieusement été installé sur la carrière,
ce qui économise d'autant le transport. La pierre extraite ici est
du grès ferrugineux : selon sa qualité, il sert soit à
la construction du gros œuvre soit à l'extraction du minerai de
fer pour la forge. Les pierres calcaires destinées à la sculpture
décorative (fenêtres, clef de voûte,…) proviennent d'une
carrière située non loin de là, à Donzy.
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- Les tailleurs
: patience et longueur de temps… Ce sont les seuls ouvriers du chantier
qui travaillent toute l'année, même quand celui-ci est fermé
aux visiteurs. Car des pierres, il en faut ! A l'aide du maillet et du
ciseau, ils taillent la pierre en suivant les gabarits en bois fournis
par le maître d'œuvre. Chaque pierre porte des marques lapidaires
indiquant sa fonction et sa place dans l'ouvrage, parfois les initiales
du tailleur. |
Au XIIIème siècle, en effet, les tailleurs étaient
rémunérés à la pièce. Un bon tailleur,
de nos jours, livre 3 pierres par jour, du moins s'il s'agit de formes
"simples". Les plus ouvragées, en calcaire tendre, demandent parfois
plusieurs semaines de travail.
Les tailleurs travaillent à l'abri, dans leur "loge" qui les
protège des intempéries. C'est ce terme qui a donné
son nom à la loge des Francs-Maçons. En parlant de maçons,
justement… |
Pierres taillées, avec
décoration et marques de placement |
- Les maçons
: ils alignent les pierres taillées tandis que les "gâcheurs"
leur apportent le mortier frais, destiné à "coller" les pierres
entre elles. Tout étant effectué à la main, y compris
le transport des pierres jusqu'au haut du mur, le travail des maçons
est long et physiquement pénible. |
- Les charpentiers
préparent les pièces de bois, tant pour le bâtiment
(poutres, portes) que pour les échafaudages qui deviennent nécessaires
au fur et à mesure que l'ouvrage s'élève.
- Les cordiers
fabriquent toutes les cordes utilisées sur le chantier : cela va
de la simple ceinture pour ajuster les vêtements des ouvriers jusqu'à
la corde pour hisser les charges. De nos jours, pour cette dernière
tâche, sécurité oblige, le chantier de Guédelon
emploie des cordes industrielles. |
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Les mains de l'artisan façonnant
une des milliers de tuiles de la toiture de Guédelon |
- Les potiers
: la Puisaye est une terre de potiers et ça tombe bien. A Guédelon,
on a besoin d'ustensiles en terre (pour assouvir sa soif), de dalles et…
de tuiles (oh combien !).
- Le vannier fabrique
les paniers en osier, très utilisés sur le chantier pour
transporter les matériaux (pierres, sable, terre… casse-croûte).
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- Le charretier s'occupe
des chevaux. Ce sont ces braves bêtes qui charrient les pierres nouvellement
extraites, de la carrière jusqu'aux loges des tailleurs. Ce sont
encore eux qui tirent les arbres abattus par les essarteurs et les poutres
taillées par les charpentiers. Allez, tournée générale
d'avoine et de picotin ! |
- Les ferrons
: autour du bas fourneau, ils sont chargés de produire le fer à
partir du grès ferrugineux. Les lingots refroidis sont ensuite livrés
au forgeron.
- Le forgeron
: les outils, c'est lui. C'est donc un métier vital pour le chantier
: un tailleur de pierres use ou brise 3 jeux d'outils par jour ! Le forgeron
fabrique également tout ce qui, dans le château, sera en fer
: grilles, clefs, ferrures de porte…
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Et on n'oubliera pas les fermiers nécessaires à l'élevage
des porcs, de la volaille, des vaches et des moutons, car il faut nourrir
les oeuvriers qui se dépensent sans compter.
4. Le chantier et son château
En parcourant Guédelon, on est brusquement ramené 7 siècles
plus tôt. Le chantier montre des engins méconnus de nos jours.
Ainsi, on remarquera l'étonnante "cage
à écureuil" qui permet à un homme
seul, en marchant dans la roue, de soulever des charges de plusieurs centaines
de kilos jusqu'en haut des murs.
La cage à écureuil,
ancêtre de nos grues modernes |
Détail de la roue |
Les échafaudages,
quant à eux, facilitent l'accès à l'extérieur
des murs. Des perches, parallèles à la muraille soutiennent
des poutres (les boulins) dont une extrémité entre dans le
mur. Ces poutres sont ensuite recouvertes de planches, autorisant ainsi
la circulation des ouvriers. Les trous ainsi creusés dans les murs
s'appellent des "trous de boulin", et sont facilement indentifiables dans
les constructions du Moyen-Age parvenues jusqu'à nous car, en général,
on ne les rebouchait pas. Ils pouvaient ainsi servir lors de futures réparations
ou agrandissements.
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Autre curiosité : les
bacs à chaux. Par chauffage de pierres calcaires,
on obtient la chaux vive que l'on "éteint" ensuite dans ces bacs
en la mélangeant à de l'eau puis à du sable. On obtient
ainsi le mortier avec lequel seront scellées les pierres du château,
un mortier aussi dur que le béton (d'où l'expression "être
bâti à chaux et à sable"). La fabrication artisanale
de la chaux vive telle que pratiquée au XIIIème siècle
était très nocive et les gâcheurs de l'époque
avaient une espérance de vie de 25 à 30 ans maximum. Pour
cette raison, à Guédelon de nos jours, on utilise de la chaux
vive industrielle. |
Le projet de Guédelon n'aboutira qu'en… 2023, après 25
ans d'effort ! Mais déjà on peut avoir une petite idée
de ce que sera le château terminé, même si cela est
difficile à discerner sur le terrain, grâce au dessinateur
officiel du projet, Jean-Benoit Héron. Voilà donc ce que
pourront admirer, dans quelques années, les visiteurs arrivant à
Guédelon :
- La tour du Logis (1)
: C'est par cette tour que la construction commence, afin de pouvoir défendre
le chantier en cas d'attaque. Plus tard, elle servira de casernement aux
archers et autres défenseurs du château.
- La tour maîtresse (2)
: C'est la plus haute du château (30m), et la plus large. Elle domine
les alentours, assurant ainsi les fonctions de guet et de signal. En cas
de siège par l'ennemi, elle sera le refuge des habitants du château
et des alentours.
Des hourds en bois (3)surplombent
le pied de la muraille et permettent de repousser l'assaillant au moyen
de pierres ou d'eau bouillante, l'huile souvent citée pour ce type
d'opération étant bien trop onéreuse pour la jeter
par les fenêtres ! A l'intérieur de cette tour, on pourra
contempler une magnifique voûte à nervures réalisée,
comme pour l'ensemble du château, selon les règles de l'art.
Voûte à nervures
; au centre, la clef de voûte |
Appareillage en bois destiné
à la mise en place des voûtes |
- Les tours de flanquement (4)au
nombre de 2 sont à chaque extrémité de la façade
sud. Grâce à des archères
(5)
judicieusement disposées, ces tours permettent
aux guetteurs et aux archers de couvrir le terrain sur 180°.
- Les tours de porte (6)
encadrent l'entrée du château et défendent le pont
dormant (7) qui, comme son
nom l'indique, est fixe (contrairement au système du pont-levis
employé dans d'autres châteaux).
- Les courtines (8)
sont les murailles qui relient les tours entre elles. A Guédelon,
il y aura 4 courtines face aux 4 points cardinaux. Au sommet des courtines,
on distingue les créneaux
(9),
parties vides où se tiennent les défenseurs, des merlons
(10), parties pleines permettant
de se protéger des projectiles lancés par les assaillants.
On fait le tour des courtines par l'intérieur de la muraille, en
suivant le chemin de ronde (11).
- Enfin, le logis (12)
à deux niveaux. Au rez-de-chaussée, la cuisine et le cellier.
Au 1er étage, la grande salle pour les cérémonies
et les festins, la chambre du seigneur, la chapelle.
La charpente de la Grande Salle,
en construction
|
Dans quelque temps, damoiselles et damoiseaux feront assaut de révérences
sur la terrasse du château, au son des tambourins, flageolets et
violes de gambe. Mais en attendant ces futurs occupants, le château
abrite déjà… un couple d'hirondelles et ses petits. |
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Les informations et renseignements sur le chantier médiéval
de Guédelon, son accès et ses visites, sont disponibles sur
le site officiel du projet : www.guedelon.fr |