Février 2011
Les autres N°

UN ART DU FEU



"Pyro", le feu en grec. On l'aura compris, la pyrogravure est donc l'art de graver la matière (en général le bois) par l'action du feu. En fait au moyen d'une pointe de métal portée au rouge. Le progrès aidant, c'est une résistance électrique qui, de nos jours, amène la pointe à la température adéquate.

On a donné le nom de pyrogravure à la fois à cette technique de gravure et aux œuvres qu'elle engendre. Le vocable "pyrograveur" s'appliquant quant à lui à l'appareil qui permet de pyrograver et à celui qui le manie. Pour l'appareil, on peut également employer le terme de "pyrographe".En un mot, le pyrograveur utilise un pyrographe pour créer des pyrogravures. 

Il fut une époque où ce type de matériel était considéré comme un jouet. Si les temps ont changé (on trouve maintenant des pyrograveurs professionnels) il n'en demeure pas moins que pyrograver une planchette de bois relève encore de la magie et du jeu. Alors, jouons un peu !...



Le matériel du parfait petit pyrograveur
 
 
= Le transformateur

Cet appareil est essentiel car c'est lui qui transforme le courant domestique en un courant assimilable par les différents outils nécessaires à la pyrogravure et sans danger pour l'utilisateur. Un bouton rotatif contrôle la température.


= Le manchon

Il se branche sur le transformateur et accueille les différentes pointes à utiliser pour la gravure. Cet outil est à l'artisan pyrograveur ce que le pinceau est à l'artiste peintre et le stylo à l'écrivain.
 


= Les pointes à graver

Si on poursuit le parallèle précédent, on pourrait dire que ces pointes sont les plumes de l'écrivain pyrograveur. Ce sont elles qui tracent leur chemin dans la matière ; par elles naît le signe, à l'encre de la brûlure. Comme pour les plumes, à chaque pointe son style et son utilité. Il en existe de différentes tailles et de différentes formes. Certaines sont destinées à graver sur d'autres supports que le bois (polystyrène, cuir, velours…) Mais dans tous les cas leur principe de fonctionnement est identique : une fois vissée sur le manchon et le manchon branché sur le transformateur, la résistance électrique enroulée autour de la pointe se met à chauffer et amène celle-ci à la bonne température. Il n'y a plus qu'à faire glisser la pointe sur le bois pour y laisser une trace indélébile. Attention aux brûlures, toutefois ! car si ça brûle le bois, ça peut aussi brûler les doigts.
 


= Enfin, élément essentiel, bien entendu, le bois

Là, on trouve de tout : depuis la boite à camembert, la planchette à tartiner jusqu'au bois flotté, au poirier, aux bois précieux, en passant par le vulgaire, mais si pratique, contreplaqué. C'est d'ailleurs ce matériau qui a été le plus souvent utilisé dans les démonstrations et exemples qui suivent. Mais d'autres matières peuvent faire l'affaire : le liège, le papier mâché…


Exemple de pyrogravure
sur papier mâché

Tout le matériel est prêt, il ne reste plus qu'à brancher les appareils. Au bout d'une petite minute, la pointe a rougi et on peut commencer à brûler le bois, sans brûler les étapes...
 



Dessiner avec le feu
 

Les pointes chauffées laissent leur trace dans le bois. Et à chaque pointe, sa trace.

= Quelques exemples…
 

- La pointe standard, dite "universelle" (n° 21 pour les connaisseurs) permet un trait profond et brillant. En la couchant légèrement, on obtient un tracé plus large et plus léger.
- Pour la pointe "boule", la pointe n'est plus une pointe mais une boule, comme son nom l'indique. Plusieurs tailles existent. Cet instrument génère un tracé plus doux et moins profond que la pointe universelle. Ceci autorise des lignes contrôlées et déliées propres, entre autres applications, à l'écriture des textes.
- La pointe "couteau", pour les entailles droites et les arabesques. Avec cette pointe tenue à l'envers (croissant vers le bas), on obtient une belle écriture.
- La pointe à brunir qui, comme son nom l'indique, sert à brunir le bois en le brûlant légèrement. Est utilisée pour donner "de la couleur" aux formes et aux fonds.
D'autres pointes présentent des empreintes géométriques, très appréciées dans la décoration :
ovale plein
cercle
demi - cercle
triangle
fourche

= La pyrogravure sans pyrographe ni électricité

Pour l'anecdote, il est possible de dessiner sur bois à l'aide d'une loupe, en concentrant les rayons du soleil… Il y faut une main sûre et, bien entendu, du soleil : dans cette discipline, travail de nuit interdit et chômage les jours de pluie !
 



Au cœur du sujet

Le premier emploi de la pyrogravure est le marquage ou l'estampille. Ainsi, les caisses de vin, par exemple, sont-elles habituellement identifiables grâce à ce procédé, qui grave sur leur flanc le nom du producteur, le cépage… Ce type de pyrogravure est industriel. Plus artisanal, le marquage des troupeaux au fer rouge emprunte également à la technique de la pyrogravure (sur cuir vivant !).
 

Mais l'utilisation la plus courante demeure la décoration d'objets en bois, tels que cuillères, coquetiers, boites, assiettes… Souvent, dans ce cas, on exploite les formes des différentes pointes afin d'animer les surfaces.
 

Autre aspect de la technique avec la création ou la reproduction de dessin. Ici, la pointe brûlante remplace le crayon. Attention, pas d'erreur possible ! le trait posé est pratiquement indélébile. Le bon côté des choses c'est que l'artiste pyrograveur ne se ruine pas en gommes.

Mais assez de théorie et place à la pratique. Parmi beaucoup d'autres, voici une méthode illustrant ce type de pyrogravure.
-1-
-2-
-3-
-4-
-5-

1. Découper une petite planchette de bois ; en poncer avec soin la surface et les bords.

2. Dessiner le sujet au crayon à papier (le crayon d'bois, comme on dit dans ch'nord), ou en reporter le modèle grâce à un calque.

3. Avec une pointe fine ("boule"), graver les traits principaux du dessin

4. Revenir sur les traits, en creusant légèrement. Ajouter les détails.

5. Noircir les ombres, à la pointe à brunir.

… et le tour est joué !

Cette activité est une lutte entre le feu, la main et le bois. Les veines du bois contrarient parfois le geste, faisant naître, par dérive, une forme imprévue qu'il faudra intégrer au projet. Il y a de l'inattendu et de l'imaginaire dans la pyrogravure. De même, la brûlure révèle, en fonction du grain du bois, des couleurs et des nuances différentes d'un endroit à l'autre, d'un passage à l'autre, ce qui donne vie au dessin. 
 



Quand le monde prend des couleurs
 
 
Le dessin en pyrogravure présente souvent l'aspect sépia et camaïeu des photographies anciennes. Alors faisons surgir un peu de lumière et de couleurs dans ce monde par trop monochrome. C'est relativement facile, toutes les expériences et les audaces sont permises comme le montrent les quelques essais de laboratoire ci-contre. Tous les types, ou presque, de couleurs sont susceptibles d'être employées : encres, huiles, crayons à la cire, acryliques…

La pyrogravure apporte aux peintures ainsi réalisées un style et une matière inimitables. C'est la chaleur du bois, la patine de la couleur brûlée, le relief apporté par la gravure, le cerne noir des traits qui donnent à ces petits tableaux leur caractère artisanal et naïf. Quelques exemples...

Ferme-château dans la Nièvre - Pyrogravure et couleurs acryliques sur bois


... toujours dans la Nièvre, l'église d'un petit village - pyrogravure et couleurs acryliques sur bois
 
 
 
 
 
 
 
Ci-contre, un détail du tableau en dimensions réelles

Après la couleur, il ne reste plus qu'à aborder…
 



… La Troisième Dimension

Le relief, la mise en perspective, le "maquettage" d'un dessin reposent sur l'agencement d'éléments individuels que l'on étage dans la profondeur, comme les décors d'un petit théâtre. Le découpage de ces éléments est rendu possible par un instrument magique…
 

= La pyro-scie

Comme les pointes, cet outil se branche sur le pyrograveur. Quand on appuie sur la gâchette de l'appareil le courant électrique chauffe le fil très mince qui relie les branches du "U". Il convient alors de frotter le fil brûlant sur la tranche du bois que l'on désire découper, comme on le ferait avec une scie ordinaire et comme le montre la petite animation ci-contre. Tout cela en douceur et en silence (contrairement aux scies électromagnétiques qui font un potin d'enfer).

 
Avec un peu de patience et de minutie, on parvient ainsi à créer toutes les silhouettes nécessaires à la réalisation d'un projet 3 D, par exemple cette touffe d'herbe, premier élément d'une jungle équatoriale en devenir (et en contreplaqué !). Cette technique donne un résultat assez proche, au plan de l'esthétique, du style des bandes dessinées ou du vitrail. Cela est dû à la tranche du bois noircie par la brûlure, qui tient lieu de trait de contour et qui accentue ainsi l'impression de relief.

Alors branchons la pyro-scie et entrons dans le monde de la 3ème dimension…
 

= "La Maison du Hibou"
 
 
Vue de l'extérieur, cette maison est un tronc d'arbre chenu et couturé de cicatrices. Sur le seuil, veille le Hibou (modelage en terre auto durcissante puis coloré). Grâce à une charnière, le tronc d'arbre s'ouvre comme un livre et, ô surprise, on peut alors en découvrir l'intérieur : le nid douillet du Hibou est en couleur. La table et le rocking-chair sont réalisés à la pyro-scie et peints. La bougie et le livre (car tous les hiboux lisent à la lumière d'une chandelle, comme chacun sait) sont modelés en pâte auto durcissante, peints et vernis. L'ensemble a nécessité le collage de 16 épaisseurs de bois découpées et décorées.

 

 = "L'escalier"

Il s'agit ici d'un diorama réalisé uniquement en bois brut, sans mise en couleur et fixé à l'intérieur d'un panier d'osier. L'ensemble représente l'intérieur d'une maison dont on découvre les différents niveaux. En bas, la pièce principale, bien éclairée et paisible, où une petite fille assise sur le sol joue tranquillement avec sa poupée. Un escalier monte à l'étage, étage où dansent d'envahissantes souris, tandis qu'au-dessus la chouette et l'araignée règnent en maîtres dans le grenier. Serait-ce le début d'une histoire? Une histoire dans laquelle le monde calme et clair du rez-de-chaussée et celui, sombre et terrifiant, du grenier sont mis en communication par l'escalier, l'escalier dont la petite fille montera peut-être un jour les marches, quittant à jamais l'univers rassurant de l'enfance.
 

= "Le visiteur"

C'est le soir. Une femme regarde par la fenêtre de sa cuisine. Quelqu'un qui passait sur la route aurait-il frappé à sa porte ? Dans le regard de la femme se reflètent tour à tour la curiosité, la peur, l'attraction. Mais on ne connaîtra pas la suite…

L'ensemble est construit autour d'une planchette à tartiner. C'est cette planchette qui forme le mur de la maison où s'ouvre la fenêtre. La cheminée, sur le toit, est l'extrémité du manche de cette planchette. L'extérieur, en bois blanc, s'oppose à l'intérieur tout en couleurs, qu'on aperçoit à travers la fenêtre, comme une sorte de paradis menacé.
 
 

 
 
Ce diorama est composé d'une quarantaine d'éléments différents. Un plan précis de découpage et de montage est indispensable pour mener à bien le projet. Cela tient donc à la fois de la maquette, de la pyrogravure et de la mise en scène : un théâtre de poche où l'on fait jouer les ombres et les idées.

Alors n'est-ce pas un super hobby que la pyrogravure ? Voilà de quoi passer de longues heures à construire son petit monde imaginaire et rustique, dans l'odeur du bois chaud, comme au bon vieux temps des jouets en bois… 


Texte, pyrogravures et dioramas par Guy Robert - février 2011