Mai 2011
Les autres N°

NOUS, LES PETITS CAILLOUX !

De leur origine…
Ne vous êtes-vous jamais demandé, en vous promenant à la campagne ou en faisant votre jardin : « Mais d’où viennent donc tous ces petits cailloux que l’on voit un peu partout ? » Ils tapissent les chemins, ils abondent dans les champs, et le premier cultivateur venu vous dira qu’ils semblent pousser comme la mauvaise herbe. C’est que le caillou migre, des profondeurs de la terre où il germait depuis des millions d’années, jusqu’à la surface du sol, sous le soleil et où il blanchit, os perdu d’un improbable mastodonte. Un long, très long voyage. Pourtant, me direz-vous, on a beau les fixer du regard, on ne les voit pas bouger, les cailloux. C’est que leur existence n’est pas à l’échelle de la nôtre et ce que nous prenons pour une immobilité quasi éternelle n’est qu’un fragment de leur mouvement, comme l’image isolée et fixe d’un film animé. Il faudrait accélérer le temps, contracter les jours, les années, les siècles pour rendre enfin perceptible le lent cheminement des cailloux dans les champs.

De leur usage…
Une fois les cailloux arrachés aux entrailles de la terre, parvenus à l’étage où nous vivons, nous les humains, que deviennent-ils, à quoi servent-ils ? Une des premières utilisations du caillou, ce que chacun peut constater, c’est de nous tordre les pieds quand nous marchons dessus et d’égratigner le cuir de nos belles chaussures neuves. Ceci pour les plus sportifs et les plus nantis d’entre nous. Car le caillou a servi, pendant longtemps, à empierrer pas mal de routes sur notre planète. Il a également sauvé, une première fois, le Petit Poucet et ce, plus sûrement que les miettes de pain. Quel gamin n’a pas donné des coups de pied dedans sur le chemin de l’école ? Il tient lieu d’arme pour ceux qui n’ont que leurs mains pour résister et c’est encore lui, caillou légendaire, que mit David dans sa fronde. Bon, j’en conviens, ce ne sont pas des utilisations des plus courantes et si sa dureté prédestine le caillou à des usages guerriers, les temps de paix ne le boudent pas pour autant. D’abord, et pour revenir à l’école, il a des copains comme genou, pou ou hibou (et même chou, joujou et bijou, mais pas toutou) qui se distinguent singulièrement au pluriel. Dans la cour de récréation de cette même école, s’il tombe dans le puits ou est enveloppé par la feuille, il casse tout de même les ciseaux. Ils se sont mis à plusieurs, paraît-il, pour apprendre à parler à Démosthène. Et qui est-ce qui vole, en ricochet, sur les bords du lac, sinon le caillou lancé par une main experte ?

Vous me direz « Oui, mais il y a aussi les pierres ! » Ne confondons pas. Le caillou et la pierre, c’est le gavroche et le bourgeois. La pierre se veut noble, le caillou c’est entre les pavés qu’on le trouve. Mais gardons nous de catégoriser hâtivement. Le caillou reste fier. Certes, on parle de « pierres précieuses », mais en argot un « caillou » est la plus belle et la plus rare d’entre toutes : le diamant. Et dans un temps pas si lointain, le malheureux qui en avait chapardés, des cailloux, se retrouvait vite fait bien fait à les casser, les cailloux, pas loin de Cayenne. Au bagne, y’avait de quoi se faire des cheveux et les perdre, si bien qu’on se retrouvait sans un poil sur le caillou.

On le voit, le caillou est partout, universel, commun, quotidien. Avec de gros cailloux on peut construire une maison et les petits, on les trie dans les lentilles. Les premiers savants comptaient avec des cailloux (en latin : « calcula », petites pierres), ce qui a donné son nom au calcul arithmétique mais aussi à ces petits cailloux qui se forment parfois, et si douloureusement, dans les reins.

Heureusement, les poètes existent, nous arrachant à ce monde de brutes. C’est lui, le poète, qui posera un caillou sur son poème pour qu’il ne s’envole pas au vent. C’est l’artiste qui s’exprimera en construisant, durant une vie entière, tout un univers avec les cailloux ramassés au hasard, comme le Palais Idéal du Facteur Cheval. C’est le devin qui jettera sur le sol les cailloux magiques (les runes) pour connaître l’avenir. C’est dire l’importance du caillou. On trébuche dessus quasiment à chaque pas.
 


De leur collection… 
Irrésistible, le caillou est l’objet de collections compulsives. Et je ne parle pas ici des cailloux qui n’en sont pas vraiment comme les débris de vestiges antiques, ou les fossiles. Non, il s’agit du simple caillou, posé au bord du chemin. Que celui qui n’en a jamais ramassé un me jette la première pierre. Nous avons tous fait ça au moins une fois : étonnés par la forme, la texture, la couleur d’un caillou, nous le ramassons et l’empochons. Pour marquer (d’une pierre blanche) un jour, un lieu ? Pour conserver trace de la merveilleuse nature ou garder mémoire de notre propre surprise face à elle ?

Jouet, souvenir, outil, le caillou est fidèle, car on le retrouve généralement là où on l’a posé, au fond de notre poche, sur une étagère… On ne jette pas un caillou, alors on le garde. Mais que faire de tous ces cailloux ramenés chez soi et traînant ensuite sur les rayons de la bibliothèque, gisant au fond de boites hétéroclites, à la cave, au grenier ou décorant la cheminée, témoins poussiéreux de promenades et de sites depuis longtemps oubliés.

Bien entendu, vous en ferez ce que vous voulez, quant à moi plutôt que de les jeter au fond du puits ou d’en faire une mosaïque pour table basse, je préfère exploiter leur personnalité de cailloux, mettre en lumière leur forme et leur matière. Je les transforme et les transfigure. D’anonymes et d’interchangeables, ils accèdent alors au statut d’êtres uniques. En effet, chaque caillou que je ramasse devient, après quelques coups de pinceau… une maison en miniature !

Cela mérite sans doute, sinon un fromage, du moins quelques explications. Alors, visite de l’atelier !...
 


Du petit caillou à la petite maison
Pour cette transformation « philosophale » (de la pierre du même nom), l’installation et le matériel sont des plus simples et la méthode, celle des 3P : Peinture, Pinceau et … Patience.
1 - Tout commence donc par un caillou, on pourrait dire un «vulgaire» caillou, si ce n’est qu’il n’a pas été ramassé au hasard et que sa forme est déjà en soi tout un programme.
2 - Après avoir été lavé et brossé, le caillou est recouvert d'une couche de peinture de fond claire. Cette teinte égale et douce va permettre aux formes de s'exprimer.
3 - C’est au pied du mur qu’on voit le maçon et c’est ici que débute la phase « créative » du processus. Au crayon noir, en respectant les reliefs du caillou et en les utilisant, il s'agit de faire surgir le dessin d'une maison. Les éléments sont simples et peu nombreux : toit, portes, fenêtres, poutres, mais leur agencement infini.
4 - Quand le caillou est « habillé » sur toutes ses faces, on repasse les traits de crayon à la peinture. L’ouvrage de l’architecte se termine ici, place aux ouvriers qui vont entamer les différents travaux successifs et nécessaires au projet.
5 - Dans cette construction qui n’en est pas une, on fait tout à l’envers : on débute par le toit. Rouge, comme les tuiles sous le soleil.
6 - Pour uniformiser l’aspect des murs, on y dépose une sorte de crépi, très réaliste, à base de peinture acrylique et de sable fin.
7 - On passe ensuite aux portes et aux fenêtres. Un bleu foncé donne toute la profondeur nécessaire aux pièces supposées de la demeure.
8 - L’ensemble des murs est recouvert d’un badigeon léger de couleur chaude. Cette application détermine la tonalité finale de l’ouvrage.
 9 - On retourne aux portes et fenêtres, car le vitrier est passé. Un bleu clair, contrastant avec le bleu foncé des ouvertures, dessine très finement les différentes croisées.
10 - Quelques touches de couleur claire suggèrent les pierres. Le caillou disparu, reste une maison. Un modèle unique, habillant le simple caillou qui en était la charpente.
D’autres réalisations, un peu plus sophistiquées, sont possibles. Par exemple, ici, le projet combine plusieurs cailloux. Après de multiples essais, un dessin est mis au point qui établit le schéma d’ensemble du montage. Il ne reste plus qu’à agencer les différents cailloux et à les fixer les uns aux autres grâce à un enduit.

Après séchage, les travaux se succèdent suivant les mêmes étapes que pour une maison toute simple, sauf qu’ici c’est un manoir ! 

 


Esquisse du projet

Les cailloux agencés avant leur collage
Certes, vous allez me dire : « Ne sachant plus que faire des cailloux, vous les avez transformés en petites maisons, c’est bien beau mais le problème n’est que repoussé, car que faites-vous des petites maisons, maintenant ? »
En fait, c’est un faux problème. On peut en faire cadeau, par exemple. Si vous donnez un caillou à un ami, il vous prendra pour un fou, mais si vous lui offrez une petite maison, il vous prendra pour un fou gentil. On peut aussi les vendre en brocante (si, si, ça marche). De toute façon le stockage des petites maisons est plus décoratif que celui des simples cailloux. Une petite maison sur le plan de travail de la cuisine, c’est original ; un caillou, c’est suspect. Bon, reste la solution du coffre à la cave… C’est celle que j’ai choisie. Tout mon musée de cailloux tient dans une boite… Visite guidée !

Entrée du musée des cailloux
 

La maison de ville

La maison médiévale

La ferme du pendu

Le Château
(réalisé suivant la technique des cailloux collés)

Le Château
(détail)

La Ville
(première réalisation, il y a 20 ans...)

La maison du vigneron 

Maison du Père Igor

La Place du Village
La Place du Village (détails)

Allez, il faut que je vous quitte car…

D’autres cailloux m’attendent au long du chemin
Et le plus beau des cailloux est toujours le prochain.
 

Texte, photos et méthode de décoration des petits cailloux sont sous copyright Guy Robert
Les cailloux présentés ont été peints par l’auteur
Mai 2011