Mars 2014
Les autres N°


MICROSCOPE


 
Quand j'étais petit, je voulais devenir un grand savant. Comme Louis Pasteur, excusez du peu, dont j'avais vu la belle barbe grise dans le dictionnaire et que j'ai longtemps confondu avec Jules Verne… Tous deux n'étaient-ils pas des aventuriers, chacun dans son genre : l'un à la paillasse de son laboratoire, l'autre à son pupitre d'écrivain ?
Célèbre tableau représentant Pasteur dans son laboratoire.
Point de blouse blanche, à l'époque : on travaillait en redingote et cravate.
Bien entendu, tout le monde connaît Pasteur. Pasteur éradiquant la maladie du ver à soie ; Pasteur vaccinant contre la rage. Mais ses premiers travaux nous sont moins familiers.

Au XIXème siècle, on croyait à la génération spontanée. Sans apport de l'extérieur, les animalcules, les moisissures et autres petites bêtes se développaient spontanément dans tout milieu propice. Ainsi, il y a un peu plus de 150 ans, on croyait qu'abandonner des vêtements sales dans un coin générait  automatiquement des souris ! De même, il était dans la nature du pain rassis de produire, au bout de quelques jours, des moisissures…

C'est Pasteur qui démontra que les microbes, en suspension dans l'air, dans l'eau, présents dans la terre ou sur les mains de l'expérimentateur, provoquaient ces proliférations organiques. 

Il fut combattu très violemment par la plupart des médecins de son temps. En particulier, un jeune diplômé se gaussa de lui dans une thèse publiée en 1865. Inconnu encore à l'époque, ce médecin débutant se nommait… Georges Clemenceau ! Comme quoi même les futurs grands hommes peuvent se tromper. Pasteur devenu célèbre, Georges Clemenceau reconnut avec fair play son erreur. Il lui sera donc beaucoup pardonné, et d'autant plus que c'est ce même Clemenceau qui décida plus tard Monet à se faire opérer de la cataracte qui rendait progressivement le peintre aveugle. A la suite de cette opération conseillée (et réussie), Monet pourra se remettre à la peinture et terminer ses Nymphéas. Alors, vive Georges ! Mais revenons à Louis (Pasteur).

C'est grâce à ses travaux sur la réfutation de la théorie de la génération spontanée qu'ont été mis au point tous les conseils prophylactiques et hygiéniques des temps modernes : la stérilisation des instruments de chirurgie à la flamme ou à l'étuve, le lavage systématique des mains et bien sûr… la pasteurisation des aliments pour assurer leur conservation.

Tout cela je l'ai appris beaucoup plus tard. Pour l'heure, et en ces années 50, ce qui m'attirait c'était d'abord le décor et le costume du métier de savant.

Outre la blouse blanche, l'attribut principal du savant, pour moi, c'était le microscope.

Ah ! ce microscope ! J'en rêvais. Je jouais avec une vieille paire de jumelles qui, tenue à l'envers, ressemblait passablement à un microscope. Bien sûr, et si vous avez déjà jeté un coup d'œil dans des jumelles en les tenant dans l'autre sens (ne serait-ce que par étourderie), vous ne me contredirez pas : ça ne rapproche ni ne grossit  quoi que ce soit. C'est même l'inverse. Ni télescope ni microscope, ce nouvel instrument tiendrait davantage de "l'éloignoscope", si cela existait et avait quelque utilité. Mes observations, avec un tel matériel, n'en étaient que plus méritoires.

D'après moi, après la blouse blanche et le microscope, un savant se devait de travailler dans un laboratoire, secret de préférence, et si le dit laboratoire se situait dans une tour ou au fond d'un souterrain inaccessible aux communs des mortels, ce n'était que mieux. Je lisais sans doute déjà trop de bandes dessinées à l'époque… On m'ouvrit les yeux sur la réalité de la science.
 


Microscope utilisé par Pasteur
Un bel objet mais aux performances limitées…
 
Un cousin issu de germain de mon grand-père travaillait comme préparateur… à l'Institut Pasteur ! Après maintes sollicitations, j'eus droit un samedi à une visite privée. C'est là que je découvris, entre autres révélations, qu'il existait des microscopes encore plus performants et perfectionnés que ceux que je connaissais : les microscopes électroniques. Mais ceux-là, inutile de penser les installer un jour à la maison…
A l'Institut Pasteur, et c'est toujours le cas, on fabriquait des vaccins et on faisait de la recherche. Il y avait des singes en cage, des lapins, des rats et des souris, tous animaux destinés aux expérimentations, ainsi que des milliers d'œufs en incubation, à température constante, où l'on cultivait des souches virales. 

Vue microscopique de l'épiderme d'un oignon.
Les formes oblongues sont les cellules et les points foncés les noyaux des cellules.
En une petite matinée j'appris ce qu'était une boite de Pétri (là où pousse, sur un fond de gélatine, d'étranges champignons parfois mortels), une préparation (objet à observer fixé sur une plaque de verre), un microtome (sorte de machine à jambon pour découper des tranches très fines destinée à l'observation microscopique).

Je descendis également dans la crypte de l'Institut, là où repose, dans un décor des plus solennels et impressionnants, la dépouille de Pasteur. Mais enfin, mais surtout, j'approchais des microscopes, optiques ceux-là, car l'électronique, une machine énorme et qui ne ressemblait à rien (selon moi), n'était pas disponible.

 L'œil collé à l'oculaire, je pus contempler des coupes colorées pratiquées dans des reins de souris, où de plus savants que le débutant que j'étais (et ils n'avaient pas de mal) pouvaient constater la progression d'une maladie inconnue pour moi mais fatale apparemment pour la pauvre souris en question. Je ne comprenais rien, mais c'était très beau. Enfin je découvrais ce qu'était un véritable laboratoire et ce qu'était un vrai microscope.

Vous me direz que, de nos jours, une simple recherche sur internet permet de connaître tout sur tout, ou à peu près. Mais à l'époque dont je vous entretiens, la connaissance nichait presque exclusivement dans les livres et dans la tête de quelques professeurs au discours plus ou moins accessible.

Cette visite me fut donc une révélation et un superbe cadeau, cadeau qui me donna l'envie d'un autre : le fameux microscope, porte ouverte sur un monde inconnu et passionnant… J'en demandais donc un pour le prochain Noël… et le miracle s'accomplit.

On m'offrit l'instrument tant désiré (mais sans le laboratoire secret et souterrain qui allait avec) : un beau microscope, un vrai, noir, brillant, accompagné des plaquettes porte-objets adéquates et de tout le matériel indispensable pour fabriquer mes propres préparations. Le microscope venait sans doute de chez un opticien (c'était là qu'on les trouvait à l'époque) et le matériel avait été emprunté… à l'Institut Pasteur, carrément !

Pour m'aider dans mes premiers balbutiements scientifiques, il y avait également un livre :
"Ce qu'on peut voir avec un petit microscope"
d'Henri Coupin.

Cette petite brochure à la couverture prometteuse, renfermait une foule d'informations. A l'époque (fin des années 50) j'ignorais que le texte original, auquel on n'avait changé que quelques virgules, datait de … 1897 ! Mais dans ce domaine, les conseils et les observations demeurent valables par delà les années. 


Couverture du livre
Le microscope qui y était représenté était absolument semblable au mien
La preuve en est que ce livre reste, de nos jours, un des seuls ouvrages de vulgarisation traitant de la microscopie pour amateurs. En effet, aux dires de son auteur, ce fascicule se voulait être une simple introduction au monde de l'infiniment petit, sans prétention scientifique mais permettant aux "jeunes curieux" de s'initier au maniement du microscope et à l'observation microscopique.

Extrémité d'une patte de mouche
Ce livre était abondamment illustré, mais pas à l'aide de photos, comme ici, seulement des planches, dessinées à la main par l'auteur lui-même. Il est vrai qu'en ces temps lointains il en allait ainsi dans des ouvrages scientifiques réputés plus sérieux. Il faut également remarquer que, davantage qu'une simple photo, le dessin oblige à bien observer et donc à découvrir des détails à côté desquels on serait sans doute passé si on n'avait pas eu à les reproduire très exactement. Dans les anciens ouvrages, ces dessins prenaient l'apparence de hublots brillants bordés de noir. C'était la signature, reconnaissable entre toutes, des vues microscopiques.
 

Dès lors, tout passa sous l'objectif de mon microscope : cheveux, patte de moustique, aile de mouche, nervures de feuille. Je mis, au grand dam de la maisonnée, du pain à moisir afin d'observer les différentes sortes de moisissures qui s'y développèrent allègrement…
 

Les années ont passé. Le microscope a été donné au petit fils qui s'intéressa un temps à la biologie. Mais j'ai toujours conservé intérêt et respect pour ce type d'instrument… si bien que j'en ai acheté deux : un sur une brocante, tout simple, ressemblant assez à mon premier microscope, si ce n'est la couleur et un autre, en boutique, plus perfectionné, avec capture d'images photo et vidéo sur ordinateur, éclairage électrique direct et indirect et 3 objectifs différents dont le grossissement maximum peut atteindre 1200 fois. 

Microscope optique simple
… et le décor de laboratoire qui va avec…

Microscope optique numérique
Plus perfectionné, cet instrument permet de capter sur ordinateur les images observées.
C'est ainsi qu'ont été réalisées les vues microscopiques illustrant cet article.
Il faut toutefois savoir que Pasteur, lors de ses découvertes les plus retentissantes, ne disposait que d'un microscope des plus élémentaires, du type de ceux qu'on trouve de nos jours au rayon des jouets des grands magasins. Mais il avait de bons yeux !

Rotifère
Pour l'instant, modestement, je n'ai pas trouvé grand-chose et pourtant je ne me lasse pas de voir nager, dans l'eau recueillie au fond du jardin, les rotifères, infusoires et autres créatures étranges et invisibles.

Infusoire
Car c'est tout un monde qui vit ainsi, en dessous de nous, parallèle à celui, aussi vaste et inconnu qui existe au-dessus de nous. Mais pour accéder à ce dernier, il faut un télescope et là, c'est une autre histoire…
Guy Robert - Mars 2014