Juin 2014
Les autres N°


TRAIT DE PLUME
Maman était poète. Oh, pas comme Verlaine, Victor Hugo ou Prévert. Pas si sérieusement que ces poètes professionnels, même si elle apportait tout son sérieux à cet exercice qui consiste à mettre sa pensée en vers. Toute sa vie, en toute circonstance et en tout lieu, elle a réservé chaque jour quelques minutes (ou quelques heures, c'était selon) à écrire. Elle en a rempli des cahiers d'écolier ! Car tout était raison à poésie : un anniversaire, une fête, un deuil, un rayon de soleil dans les arbres, le sourire d'un petit enfant dans la rue, une nuit d'insomnie, une joie, une peine. Et les souvenirs…

Ses premiers vers sont ceux d'une adolescente en colère contre l'Occupation Allemande, en 1940 (elle avait alors 14 ans). Et la veille de sa disparition, à 79 ans, elle cherchait encore la rime, rassemblant, recopiant, corrigeant ses poèmes, ses "bêtises", comme elle disait. Elle écrivait à la main, ce qui ne se fait presque plus de nos jours, et si elle n'a pas connu les joies de l'édition, certains de ses poèmes ont été publiés dans "Le Morvandiau de Paris". La poésie, c'était juste pour son plaisir, et celui de sa famille (dont elle écrivit minutieusement l'histoire, en l'illustrant de photos et de dessins).

Linutil, qu'elle a connu et qui est lui-même un chien poète à ses heures, se devait de lui rendre hommage. Voici donc un poème qu'elle composa en 1986 et retrouvé dans un de ses nombreux cahiers, très représentatif de sa "manière" : sensible, nostalgique, revivant et construisant le passé à jamais enfui comme peut tenter de le faire... une photographie.
 

LA PHOTO JAUNIE


C'est dans le fond du grenier
Que nous l'avons trouvé,
Ce vieux livre oublié,
Poussiéreux, bien abîmé.

Il parle de trésors perdus,
D'histoires de bateaux ivres,
De châteaux, d'amour défendu,
De longs hivers et de givre…

Il est tout grignoté…
Les loirs sont passés par là !
Nous l'avons tous deux feuilleté,
Lisant par ci, par là…

C'est en le reposant,
Que ce papier est tombé,
Et j'ai fait, en me penchant,
Fuir une grosse araignée.

Un carton tout racorni :
Probablement marque-page…
Non ! C'est une photo jaunie,
Où s'effacent les visages…

Qui nous dira jamais
Ce qu'étaient ces gens-là !
Parents lointains, qui sait ?
Et pourquoi sont-ils là ?

"Brûle ça, que veux-tu,
"Nous n'allons pas les garder ;
"Ce sont des inconnus,
"A qui veux-tu demander ?"

Mais la femme est si belle,
Son regard si doux…
L'homme ne semble voir qu'elle !
Je l'ai gardée, malgré tout…
 


Jeannine ROBERT - Mars 1986