Chaque ville a son musée.
Des plus prestigieux, où se presse la foule des touristes, jusqu'au
plus reculé, au plus obscur, que l'on parcourt d'un pas qui se veut
discret, dans le silence résonnant de grandes salles vides. A Nice,
sous le soleil de l'hiver, Linutil a pu en visiter deux. Ce ne sont pas
les plus célèbres, ni forcément les plus beaux, quoi
qu'en prétendent leurs gardiens, mais ils ont, chacun dans leur
genre, un charme unique.
En premier lieu, Linutil
s'est intéressé au « Musée International
d'Art Naïf – Anatole Jakovsky ». L'Anatole en question,
qui a connu les surréalistes, était un critique d'art collectionneur
(1907-1983), spécialiste de l'Art Naïf qu'il a défendu
et promu tout au long de sa vie. Il a cédé l'ensemble de
ses collections au Musée.
Mais, me direz-vous, qu'est-ce
donc que l'Art Naïf ? Linutil, qui est naïvement dessiné,
en connaît un rayon sur la question. Écoutons le… |
L'Art Naïf est d'abord
figuratif. C'est-à-dire que le spectateur normalement constitué
reconnaît au premier coup d’œil les objets que l'artiste a voulu
représenter. L'artiste, de son côté, met tout son talent,
à peindre la réalité du mieux qu'il peut, mais dans
un style particulier.
Si les objets, les paysages,
les personnages sont reconnaissables, les règles de la perspective
par exemple, qui normalement doivent répartir le sujet dans l'espace
afin d'en accentuer le réalisme, ne sont pas, volontairement ou
non, respectées. En effet, dans la peinture « classique »,
ces règles s'appliquent à 3 domaines :
- Dimensions : plus
un objet est loin, plus il est petit (cela s'appelle la perspective géométrique)
- Couleurs : plus
un objet est loin moins sa couleur est intense (perspective dite «
aérienne »)
- Détails :
enfin, plus un objet est loin et moins il est détaillé, précis. |
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En créant son œuvre,
l’artiste naïf va transgresser la règle dans un de ces
domaines, ou dans tous à la fois : par exemple, il peint l'arbre
au fond de son tableau aussi grand que celui du premier plan, avec des
couleurs aussi vives et toutes ses feuilles (que l'on peut compter).
Ajoutons à cela un
certain symbolisme simplificateur dans les formes, parfois assimilé
à une facture maladroite : les objets sont représentés
davantage selon l'idée qu'on s'en fait que selon leur apparence
véritable. C'est le cas typique du soleil avec ses rayons, tel
que le dessine un enfant.
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La peinture des personnages
est caractéristique de cette manière de faire : ils sont
le plus souvent vus de face ou de profil, rarement de 3/4 et se présentent
à nous, leurs deux bras tendus et leurs deux jambes bien ancrées
sur le sol, sans ambiguïté ni artifice.
La systématisation
est également une caractéristique de cet art : un mur se
composant de briques, une rue étant faite de pavés, l'artiste
les représentera tous, fidèlement et très minutieusement,
et souvent de façon géométrique.
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Au-delà de la forme,
telle que Linutil vient de nous l'expliquer, il y a le fond.
Les thèmes de la
peinture naïve sont souvent la vie quotidienne des gens ordinaires,
à la ville ou à la campagne, les traditions populaires, les
fêtes, les défilés, les loisirs, comme la pêche
à la ligne, les guinguettes, les noces…
Les animaux, féroces
ou familiers, tiennent également une grande place dans l'imaginaire
de ces artistes. Henri Rousseau, dit le Douanier Rousseau, avec
ses jungles stylisées et ses bêtes sauvages hautes en couleur,
en est le précurseur et l'archétype célèbre.
Cette constance dans le style
et dans les thèmes font que l'Art Naïf a très peu évolué
au cours de son histoire, à l'inverse d'autres mouvements artistiques
(impressionnisme,
art abstrait). D'un autre point de vue, l'Art Naïf s'est essentiellement
exprimé au travers du dessin et de la peinture, contrairement au
surréalisme, par exemple, qui inspira les poètes, ou l'impressionnisme
les musiciens. Il y a toutefois de belles exceptions. Ainsi, le Facteur
Cheval est connu pour la construction naïve et persévérante
de son fameux « Palais Idéal ».
Au musée de Nice,
il est une autre œuvre, sans doute moins impressionnante mais tout autant
originale : une crèche provençale dont tous les personnages,
animaux et décors sont réalisés, sculptés,
modelés dans … des courges !
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En fonction de leur forme,
ces sympathiques cucurbitacées jouent les rois mages, les moutons,
Joseph, Marie, les cyprès, les anges et le moulin... N'est-ce
pas cela l'Art Naïf ? Une tradition populaire (Noël) mise
en scène à l'aide d'objets simples du quotidien (les légumes),
et ce sans affectation ni second degré.
L'Art Naïf ne pose pas
de question et ne délivre pas de message, si ce n'est celui de la
joie simple de vivre le jour présent, avec tendresse.
Si ce long discours m'a donné
grand soif, j'espère qu'il ne vous a pas trop ennuyés. Je
pense que ces explications étaient néanmoins nécessaires.
Elles ont le mérite de rassurer mon dessinateur de maître,
qui ne craindra plus dès lors de commettre des erreurs de perspective
et des maladresses dans le récit qu'il fait de mes formidables
aventures…
Après le Musée
International d'Art Naïf, j'ai porté mes pattes au Musée
des Beaux Arts, toujours à Nice et toujours sous le soleil.
Une toile a surtout retenu mon attention, mais quelle toile !
«
Fenêtre ouverte sur la Seine », peinte par Pierre Bonnard à
Vernon, 1911-1912
Outre ses qualités
picturales indéniables, cette œuvre est pour moi le summum du bon
goût.
Car que voyez-vous au premier
plan ? MOI !
(voir
ci-contre le détail du tableau en question)
Eh oui, Linutil (ou
plutôt un de ses ancêtres) fut modèle pour le peintre
Bonnard.
J'en retire, à
juste titre ou non, une certaine fierté… naïvement ? |
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©Guy
Robert et Linutil – janvier 2016
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