Janvier 2016
Les autres N°


AMUSANTS MUSEES
Chaque ville a son musée. Des plus prestigieux, où se presse la foule des touristes, jusqu'au plus reculé, au plus obscur, que l'on parcourt d'un pas qui se veut discret, dans le silence résonnant de grandes salles vides. A Nice, sous le soleil de l'hiver, Linutil a pu en visiter deux. Ce ne sont pas les plus célèbres, ni forcément les plus beaux, quoi qu'en prétendent leurs gardiens, mais ils ont, chacun dans leur genre, un charme unique.

En premier lieu, Linutil s'est intéressé au « Musée International d'Art Naïf – Anatole Jakovsky ». L'Anatole en question, qui a connu les surréalistes, était un critique d'art collectionneur (1907-1983), spécialiste de l'Art Naïf qu'il a défendu et promu tout au long de sa vie. Il a cédé l'ensemble de ses collections au Musée.

Mais, me direz-vous, qu'est-ce donc que l'Art Naïf ? Linutil, qui est naïvement dessiné, en connaît un rayon sur la question. Écoutons le…


L'Art Naïf est d'abord figuratif. C'est-à-dire que le spectateur normalement constitué reconnaît au premier coup d’œil les objets que l'artiste a voulu représenter. L'artiste, de son côté, met tout son talent, à peindre la réalité du mieux qu'il peut, mais dans un style particulier.
 

Si les objets, les paysages, les personnages sont reconnaissables, les règles de la perspective par exemple, qui normalement doivent répartir le sujet dans l'espace afin d'en accentuer le réalisme, ne sont pas, volontairement ou non, respectées. En effet, dans la peinture « classique », ces règles s'appliquent à 3 domaines :
 

- Dimensions : plus un objet est loin, plus il est petit (cela s'appelle la perspective géométrique)

- Couleurs : plus un objet est loin moins sa couleur est intense (perspective dite « aérienne »)

- Détails : enfin, plus un objet est loin et moins il est détaillé, précis.

En créant son œuvre, l’artiste naïf va transgresser la règle dans un de ces domaines, ou dans tous à la fois : par exemple, il peint l'arbre au fond de son tableau aussi grand que celui du premier plan, avec des couleurs aussi vives et toutes ses feuilles (que l'on peut compter).
 

Ajoutons à cela un certain symbolisme simplificateur dans les formes, parfois assimilé à une facture maladroite : les objets sont représentés davantage selon l'idée qu'on s'en fait que selon leur  apparence véritable. C'est le cas typique du soleil avec ses rayons, tel que le dessine un enfant.

La peinture des personnages est caractéristique de cette manière de faire : ils sont le plus souvent vus de face ou de profil, rarement de 3/4 et se présentent à nous, leurs deux bras tendus et leurs deux jambes bien ancrées sur le sol, sans ambiguïté ni artifice.

La systématisation est également une caractéristique de cet art : un mur se composant de briques, une rue étant faite de pavés, l'artiste les représentera tous, fidèlement et très minutieusement, et souvent de façon géométrique. 
 


Au-delà de la forme, telle que Linutil vient de nous l'expliquer, il y a le fond.
Les thèmes de la peinture naïve sont souvent la vie quotidienne des gens ordinaires, à la ville ou à la campagne, les traditions populaires, les fêtes, les défilés, les loisirs, comme la pêche à la ligne, les guinguettes, les noces…

Les animaux, féroces ou familiers, tiennent également une grande place dans l'imaginaire de ces artistes. Henri Rousseau, dit le Douanier Rousseau, avec ses jungles stylisées et ses bêtes sauvages hautes en couleur, en est le précurseur et l'archétype célèbre.

Cette constance dans le style et dans les thèmes font que l'Art Naïf a très peu évolué au cours de son histoire, à l'inverse d'autres mouvements artistiques (impressionnisme, art abstrait). D'un autre point de vue, l'Art Naïf s'est essentiellement exprimé au travers du dessin et de la peinture, contrairement au surréalisme, par exemple, qui inspira les poètes, ou l'impressionnisme les musiciens. Il y a toutefois de belles exceptions. Ainsi, le Facteur Cheval est connu pour la construction naïve et persévérante de son fameux « Palais Idéal ».

Au musée de Nice, il est une autre œuvre, sans doute moins impressionnante mais tout autant originale : une crèche provençale dont tous les personnages, animaux et décors sont réalisés, sculptés, modelés dans … des courges !

En fonction de leur forme, ces sympathiques cucurbitacées jouent les rois mages, les moutons, Joseph, Marie, les cyprès, les anges et le moulin...  N'est-ce pas cela l'Art Naïf ? Une tradition populaire (Noël) mise en scène à l'aide d'objets simples du quotidien (les légumes), et ce sans affectation ni second degré.

L'Art Naïf ne pose pas de question et ne délivre pas de message, si ce n'est celui de la joie simple de vivre le jour présent, avec tendresse.

Si ce long discours m'a donné grand soif, j'espère qu'il ne vous a pas trop ennuyés. Je pense que ces explications étaient néanmoins nécessaires. Elles ont le mérite de rassurer mon dessinateur de maître, qui ne craindra plus dès lors de commettre des erreurs de perspective et des maladresses dans le récit qu'il fait de mes formidables aventures


Après le Musée International d'Art Naïf, j'ai porté mes pattes au Musée des Beaux Arts, toujours à Nice et toujours sous le soleil. Une toile a surtout retenu mon attention, mais quelle toile !


« Fenêtre ouverte sur la Seine », peinte par Pierre Bonnard à Vernon, 1911-1912


Outre ses qualités picturales indéniables, cette œuvre est pour moi le summum du bon goût.

Car que voyez-vous au premier plan ? MOI !
(voir ci-contre le détail du tableau en question) 

Eh oui, Linutil (ou plutôt un de ses ancêtres) fut modèle pour le peintre Bonnard.

J'en retire, à juste titre ou non, une certaine fierté… naïvement ?

©Guy Robert et Linutil  – janvier 2016