Une maman, inquiète : « Où
es-tu ? »
Une voix de garçonnet, lointaine : « Dans le grenier, je fais du Meccano ! »
Voilà, le décor est planté ; et remarquons la pertinence des mots employés par l’enfant : on ne joue pas au Meccano, on fait du Meccano. « Faire », du latin « facere », dans le sens de fabriquer, créer. Car le Meccano c’est tout cela. On fait du Meccano comme on fait du tricot ou du dessin. Au fait, si certains d’entre nous l’ignorent encore, le Meccano est un jeu de construction métallique, imaginé par M. Frank Hornby à Liverpool, en 1898, pour distraire ses enfants. Oui, Hornby, « l’inventeur » du train électrique miniature et de la célébrissime « Dinky Toys », petite voiture en métal vendue dans sa fameuse boite jaune. Ce qui fait d’ailleurs que M. Hornby, pendant nombre d’années, remplira la hotte du Père Noël de ses productions, pour la plus grande joie des petits et des autres…
Une histoire mouvementée « Meccano », c’est avant tout la marque, pour l’Europe et le Royaume Uni, du petit jeu de construction que son inventeur avait d’abord baptisé « Mechanics Made Easy » (la mécanique facile). Dès 1901 le brevet est déposé sous le nom de Meccano. Bien vite des filiales s’ouvrent dans le monde, d’abord en France (1912) puis aux USA où le jeu prend le nom « d’Erector », dénomination encore utilisée de nos jours. Au fil des années, la marque va connaître de multiples bouleversements, rachats, fusion… jusqu’à aujourd’hui où ne subsiste plus qu’un seule usine Meccano pour l’Europe, sise en France, à Calais. A l’heure où j’écris ces lignes, Meccano produit encore ses boites de jeu et il y a encore des enfants, ingénieurs en herbe, familiers des manettes électroniques, qui exercent leurs petites mains à visser et dévisser vis et boulons, tiges, roues dentées… Ce qui a changé, ce sont les modèles : moins de grues et davantage de robots (dont certains pilotables au moyen d’un téléphone portable, si, si…). Il y a même des dinosaures, des insectes… et toujours des avions ! Quoi qu’il en soit, l’âge d’or de la marque semble derrière nous. Au temps de la gloire, c’est à Bobigny, dans une usine aujourd’hui disparue, qu’étaient confectionnés les éléments mécaniques du Meccano. Et c’est vers cette époque, à la fin des années 1950, que je reçus pour Noël mon « premier » Meccano. Une boite rouge en carton, avec le magnifique dessin d’une grue, immense par rapport aux deux garçons censés l’avoir montée. C’était la boite n°3. En ces temps reculés, les boites de Meccano étaient numérotées de « 0 » (initiation) à « 10 » (excellence). Entre 2 références, une boite « A » permettait de passer à la référence immédiatement supérieure : ainsi avec la boite 3A, en complément de la boite 3 on accédait aux possibilités de la boite 4. Astucieux ! Tout le monde (tous les enfants, du moins) rêvait bien entendu de la mythique boite n°10. C’était la seule de la collection à être en bois, avec 3 vrais tiroirs pour les pièces détachées. Elle permettait de construire tous les modèles existants de toutes les boites. Je ne l’ai jamais vue, même en magasin… De nos jours, les boites Meccano sont davantage spécialisées (autos, avions, robots, animaux), même s’il existe quelques rares boites multi-modèles. La collection perd donc un peu de cette universalité qui faisait son charme et ouvrait, aux gamins bricoleurs, le monde merveilleux de l’imagination et de la création. Par contre, Meccano a su préserver l’attrait principal du concept, aux yeux des enfants et des parents : Meccano n’est pas un jouet, c’est un jeu pour construire des jouets, source de découvertes sans cesse renouvelées, pour qui veut s’en donner la peine et le temps.
Engrenages, tiges et boulons Après la boite n°3,
j’ai eu la boite 3A puis la 4A. Ce qui me plaçait donc au milieu
de la gamme (boite n°5). Il y avait déjà plus de 400
pièces réparties en 68 références distinctes.
La grande astuce de M. Hornby est d’avoir, dès le départ
de son projet, standardisé sa production. Les pièces ont
des trous tous espacés de 1,27cm (1 demi-pouce, M. Hornby est britannique,
ne l’oublions pas). Ce premier principe de base rend les pièces
toutes compatibles les unes avec les autres. Elles sont ainsi universelles
et utilisées indifféremment pour la construction de n’importe
quel modèle (avion, bateau, voiture).
Ce Meccano, je l’ai retrouvé, presque intact et pas rouillé, 60 ans plus tard, dans un coin du grenier. Un vrai trésor que ces quelques pièces, dans la présentation et les couleurs de l’époque : bleu foncé avec quadrillage jaune pour les plaques, doré pour les bandes, rouge pour les roues, les disques et les équerres.
On remarquera les pneus caoutchouc et les roues de voiture, très datées, qui donnent un petit côté « vintage » aux modèles réalisés avec ces éléments. C’est le reflet, dans le jeu, des technologies de l’époque. Alors, par un bel après-midi, je n’ai pas résisté. J’ai ouvert ma boite de Meccano et enfilé ma blouse de … mécano, justement !
En
suivant le modèle
Le Meccano d’antan, outre
l’habileté manuelle, développait ainsi l’observation et la
réflexion et permettait au papa de s’amuser à son tour en
aidant son bambin.
En ai-je rêvé de ce moteur ! On m’a offert le « 1A » (ci-dessus, à droite), avec marche avant, marche arrière, pignon et roue dentée, un moteur à ressort qu’il fallait remonter avec une clef. Inusable, il fonctionne encore après 60 ans d’existence, sans graissage…
Un secret bien gardé Oui, on pouvait tout oser avec Meccano. Et quand les modèles « officiels » paraissaient trop compliqués, on s’envolait d’un coup d’aile métallique et dorée vers le pays imaginaire. Théâtre de marionnettes, fauteuil pour poupée, soucoupe volante avec ses martiens… Rien n’était impossible. Il y eut même un professeur de sciences naturelles (matière ancêtre des SVT) qui utilisa les pièces de Meccano pour nous expliquer la rétractibilité des griffes du chat… Combien de vocations d’inventeur ce jeu a-t-il favorisées ? Combien de futurs ingénieurs issus de cette école sans maîtres ? Aujourd’hui, sur ma table, gisent les dernières pièces du modèle que je viens de démonter : une petite grue roulante telle qu’on en voyait sur les ports, jadis. Ah ! Ce n’est pas encore les constructions géantes qui décoraient autrefois les vitrines des Grands Magasins à la période de Noël. Peut-être qu’un jour je m’essaierai à d’autres modèles, plus ambitieux... Mais assez joué comme ça ! Pour le moment, on va tout ranger dans la boite. Car est-ce bien sérieux à nos âges de s’amuser encore au Meccano ? Le soleil vient jeter un reflet sur les bandes de métal doré, sur les écrous qui brillent, sur les pages jaunies des vieux manuels de montage. Et je comprends alors que le MECCANO n’est pas ce jeu à fabriquer les jouets qu’il prétend être, ni cette initiation aux sciences mécaniques qu’espèrent les parents. Il a une utilité plus cachée, plus mystérieuse, et qui ne se dévoile qu’aux enfants devenus vieux. En fait, le Meccano est un outil qui permet de construire ce dont tout humain a, ne serait-ce qu’un instant, rêvé : la machine à remonter le temps.
Guy ROBERT
Les réalisations présentées ici ont
été créées à l’aide de boites MECCANO®
des années 50 appartenant à l’auteur. Cet article et les
photos qui l’illustrent sont bien entendu libres de toute publicité
envers cette marque. ©Guy Robert-mai 2016 |