Février 2017
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LA BELLE ECRITURE
"Belle écriture", c’est ce que signifie le mot "Calligraphie", lequel nous vient du grec : "Kallos" (beauté) et "Graphé" (écriture).

La calligraphie serait donc la science de l’écriture ou plutôt l’art de bien former les lettres.

C’est, jusqu’à l’invention de l’imprimerie, un art sacré réservé aux moines copistes, et qui leur permet de diffuser les livres religieux. Cette activité nécessite une grande concentration et une grande patience. On ne s’étonnera donc point que les moines y aient excellé ; on ne s’étonnera pas non plus du prix exigé pour ces ouvrages manuscrits : la plupart étant illustrés de riches enluminures, leur confection demandait des mois (si ce n’est des années) de travail soigneux.

Faisons un petit retour dans le passé. Au temps des romains, on gravait les textes latins dans la pierre (pour les monuments) ou dans l’argile. L’alphabet utilisé était dit « romain » et ne présentait que des majuscules. L’utilisation de plumes à bout carré (calame en bambou, puis plume d’oie) va permettre la naissance d’une multitude de variantes. Petit tour d’horizon de quelques uns de ces alphabets d’un autre temps…


La Capitale Romaine
A tout seigneur tout honneur, ceci est la version "papier" de la capitale romaine inscrite dans la pierre. Elle est encore utilisée de nos jours, en particulier pour les beaux titres classiques. La lisibilité et la beauté de son dessin font son succès.

L’Onciale

Encore une écriture romaine. Pas de minuscules pour cet alphabet qui servit, entre autres, à composer le fameux "Livre de Kells", visible en Irlande, au Trinity Collège de Dublin.


La Caroline


C’est l’écriture vedette des moines copistes des IXème et Xème siècles. Elle est très lisible et assez facile à tracer. C’est la première écriture utilisant des minuscules. Elle fut imposée par Charlemagne (mais inventée par Alcuin, car Charlemagne… ne savait pas écrire) pour harmoniser la multitude de caractères employés à l’époque dans l’Empire.


La Black Letter ou Textura Quadrata


C’est la gothique primitive. Elle permet de composer un maximum de texte dans un minimum d’espace, les caractères formant sur la page une masse noire et bien équilibrée (d’où les termes qui la définissent : black ou textura).
C’est cette écriture qui fut choisie par Gutenberg comme modèle pour mouler ses premiers caractères mobiles d’imprimerie.
Elle est, de nos jours et pour nous les "paresseux modernes", un peu plus difficile à lire qu’elle ne le fut pour nos ancêtres. Et pourtant, c’est un dérivé de cette police (la "Fraktur") qui fut adopté pour le titre du quotidien "Le Monde".


La Gothique Ornementale

Variante de l’écriture précédente. Ce type de caractère était très utilisé en grand format, au début des paragraphes, où il s’accompagnait de magnifiques couleurs et d’enluminures recherchées. De nos jours il est l’archétype de l’écriture médiévale et on en trouve de nombreuses applications dans les enseignes de boutiques à souvenirs, et autres reconstitutions historico-touristiques. Les marchands de crêpes en décorent souvent leur menu.

Le temps passant, les écrits se multiplient et la nécessité d’une écriture plus rapide s’impose. C’est le début de l’écriture cursive, telle qu’on la connaît et utilise de nos jours.

L’Italique

L’italique nous vient… d’Italie, on l’aura deviné. Ecriture élégante et libre, elle permet de multiples fioritures décoratives.


Grâce à l’invention de la plume souple (en or d’abord puis en acier), l’écriture devient plus fine et s’accélère. Ce sera …

L’Anglaise

Ancêtre de notre écriture moderne, elle était encore, avec ses pleins, ses déliés et ses boucles romantiques, enseignée il y a quelques années dans nos écoles, avant l’adoption du stylo à bille. Très belle écriture pour les faire-part de naissance et les menus de mariage (à nous les belles anglaises !)


De nos jours, la calligraphie revient à la mode, qu’elle soit Arabe, Chinoise ou, comme celle que nous présentons ici, Occidentale. Il existe une multitude de matériels et de livres très bien faits pour s’initier à cet artisanat. Mais en fait, très peu de choses suffisent pour débuter :
 
- du papier

- règle, crayon, gomme

- un porte-plume et sa plume

- de l’encre

 

… et quelques pistes personnelles que je partage ci-après.



On utilise un papier blanc, lisse où la plume peut glisser sans effort. Au Moyen-Age, on écrivait sur du vélin (peau de veau mort-né) qu’il fallait longuement préparer. Un beau papier à dessin, un peu fort mais sans grain (lavis technique) fera parfaitement l’affaire.

La règle, le crayon et la gomme ne sont là que pour tracer les lignes repères sur lesquelles sera disposé le texte, et non pour esquisser les lettres. Car on écrit d’un jet, sans filet !

On écrit avec une plume trempée dans l’encre. D’autres outils existent : les outils traditionnels (calame en roseau, plume d’oie), un peu difficiles à manier pour débuter et les outils modernes.
 
Ci-contre, de gauche à droite :

- un feutre calligraphique biseauté,
- un stylo-plume calligraphique à cartouche,
- un porte-plume et sa plume simple biseautée,
- 2 plumes biseautées à réservoir, de largeur différente.


Pour les premiers essais, nous recommandons une plume biseautée toute simple. La largeur du bout carré de la plume détermine la taille des lettres. 
Ici, par exemple, les petits traits horizontaux de gauche représentent la largeur de la plume.
On voit que la hauteur d’une lettre normale, comme le "m" est de 5 largeurs de plume.

Les hampes ascendantes des lettres "h" et "l" font 2 largeurs de plume, ainsi que la jambe du "p".

Cela revient à définir 4 lignes dans lesquelles devront s’inscrire les lettres. Ce dispositif se nomme une "portée", et c’est au crayon et à la règle qu’il sera tracé sur le papier. Une fois les lettres dessinées, on effacera ces repères.

Un autre point important : l’angle que fait l’extrémité de la plume avec l’horizontal.

Il varie, selon le style d’alphabet reproduit, de 30° (comme sur l’illustration ci-contre) à 45°.

Cet angle détermine le rapport entre les pleins et les déliés et donne donc tout son caractère aux lettres ainsi dessinées.

Pour une belle harmonie du texte, il doit être respecté tout au long de l’écriture



Sauf exception, les lettres sont constituées de différents traits. L’orientation et l’ordre de ces traits forment, pour une lettre donnée, le "ductus" ("conduite", en latin), qu’il faut respecter "à la lettre", si j’ose dire ! C’est donc une sorte de guide que la main doit suivre pour réussir le dessin de la lettre. Avec l’habitude et la répétition, on le mémorisera sans peine et on pourra alors se passer du modèle.

Quelques exemples :
Les numéros indiquent l’ordre de traçage des traits et les flèches le sens de traçage.


"A" majuscule Caroline,
en 3 traits

"M" Onciale,
en 3 traits

"G" minuscule Blak Letter,
en 4 traits

Les livres traitant de la calligraphie présentent, pour chaque alphabet qu’ils décrivent, les dimensions de la portée à utiliser, l’angle de la plume à respecter pour l’écriture, le ductus de chaque lettre.



Mais avec tout ça, nous avons oublié le principal : l’encre !
Il en existe une multitude, dans plusieurs marques et plusieurs teintes. Dans un premier temps, on évitera l’encre dite "de Chine", un peu trop épaisse, et on choisira une encre légère, pas trop pâle, dans un flacon muni d’un bouchon pipette, si possible, afin de remplir la plume en évitant les taches.
On peut également utiliser de l’aquarelle. Il suffit alors de prélever avec le pinceau la couleur choisie puis d’en charger la plume.
Cette technique ouvre la voie au travail d’enluminure, tel que pratiqué dans les temps anciens.


Dans les monastères, le travail de fabrication des manuscrits, qui participait grandement au profit de la communauté, était un travail d’équipe. Une salle y était consacrée, le "scriptorium", la seule pièce chauffée du bâtiment à l’époque, car pour écrire, il ne faut pas avoir les doigts gourds !

Plusieurs moines copistes recopiaient le même livre, sous la dictée (d’où parfois des fautes d’orthographe et des oublis si le moine se prenait à rêvasser).
 


U côté des moines copistes, les artistes enlumineurs étaient, quant à eux, chargés de dessiner les lettrines, ces grandes lettres qui ouvrent  les nouveaux paragraphes (comme ci-contre) ou le début d’une page. Ils créaient également toutes les images qui illustraient et égayaient le texte par leurs couleurs chatoyantes. Une teinte était alors particulièrement à la mode : le rouge. Elle était fabriquée à base de minium, et a donné son nom aux dessins qu’elle colorait : les "miniatures".

 

Enfin, d’autres moines reliaient les pages et fabriquaient la couverture.

Le développement progressif de l’imprimerie va amener la fermeture des scriptorium, mais l’exercice manuscrit de l’écriture n’en disparaîtra pas pour autant. Jusqu’à l’invention de la machine à écrire, puis de l’ordinateur, nombre de documents officiels étaient encore écrits à la main.


Mais de nos jours, me direz-vous, quel peut bien être l’intérêt de la calligraphie et à quoi peut-elle servir ?

Je vous répondrai : "à rien…". Simplement avoir le plaisir d’écrire des signes sur la page blanche et celui d’en contempler le résultat, plaisirs simples et à moindre coût. Car tout est dans le geste qui doit, malgré la précision du tracé, demeurer libre et spontané. C’est donc une sorte de gymnastique de la main et de la tête.

Vous constaterez qu’au bout d’un certain temps d’exercice, et si vous montrez vos essais à vos proches, vous serez bientôt et inexplicablement sollicité pour la rédaction des menus, faire-part, invitations, étiquettes pour pots de confiture, et autres… la gloire, quoi. Mais attention… sachez qu’au Moyen-Age si un moine tirait par trop fierté de la beauté de son œuvre et de l’habileté qu’il y avait mise, il en était aussitôt dessaisi et voyait son travail confié à un autre de ses frères. Travail et humilité, en quelque sorte. Une leçon à méditer.

Pour finir, et en toute modestie compte tenu de ce que je viens de dire, un petit extrait calligraphié et enluminé d’un poème de Victor Hugo, écrivain que l’époque médiévale a tant inspiré…


Texte, calligraphies et photos de Guy Robert - Copyright février 2016