Septembre 2018
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Il est un petit village perché, dans l’Aude, pas loin du pic de Bugarach, dominant les vallées d’alentour. Une centaine d’habitants y vivent, dans le vent et le ciel. Mais régulièrement, des vagues de touristes, venus parfois de très loin, en voiture, à pied, en bus, à bicyclette, visitent les lieux avec ferveur. C’est que ce site a fait couler beaucoup d’encre, encre noire du mystère...

LE MYSTERE DE RENNES-LE-CHATEAU


Tout commence le 1er juin 1885, lorsque François Bérenger Saunière, jeune abbé de 33 ans, arrive à Rennes-le-Château. Il vient d’y être nommé comme curé. On devrait plutôt dire « exilé », suite à un désaccord avec sa hiérarchie. Le village est reculé, difficilement accessible. Encore de nos jours, une seule petite route étroite et sinueuse y mène que l’on dirait grimpant contre le ciel. Quand Bérenger Saunière prend possession des lieux, l’église, très ancienne puisque datant du XIème siècle, est délabrée et le presbytère inhabitable… mais l’abbé n’a pas le sou.
 
Le clocher de l’église Sainte-Marie-Madeleine à Rennes-le-Château
Pourtant, durant les années qui vont suivre, l’abbé et Marie Denardaud, la servante qu’il a prise à son service, vont faire réaliser d’importants travaux de restauration, tant dans l’église qui va être transformée de fond en comble (toiture, dallage, chemins de croix, statues), que dans le presbytère attenant. C’est de cette époque que date le fameux diable supportant le bénitier, à l’entrée de l’église.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Ci-contre, Asmodée supportant le bénitier, tel qu’on pouvait le voir jusqu’en 2017. Une aliénée l’a depuis en partie détruit à coups de marteau !

 

Le choeur de l'église de Rennes-le-Château, restauré par l'Abbé Saunière

Mais une fois ces travaux réalisés, l’abbé ne va pas s’en tenir là. Avec l’aide de maçons du coin, et sur des plans qu’il dessine lui-même, il se lance dans une série de constructions pour le moins surprenantes et qui n’ont plus grand-chose à voir avec son sacerdoce. Les villageois étonnés voient successivement sortir de terre :
 

- La villa Béthanie.

Demeure cossue, qui recevra bientôt nombre d’invités prestigieux et personnalités (hommes politiques, artistes, savants…) qu’on ne s’attend pas trop à voir fréquenter un « pauvre » curé de campagne.
 
 

Porte d'entrée de la villa Béthanie

Villa Béthanie, intérieur : le salon

- La Serre

Tout en verre et en métal, elle accueillera des plantes exotiques.
 

La serre et ses caves voutées


 
 
 

La serre et le chemin de ronde, avec vue sur les montagnes






 

- La Tour Magdala

C'est une tour-bibliothèque, en pierre, avec ses 12 créneaux, comme les 12 heures du jour et dont les fictives aiguilles seraient peut-être censées montrer une direction secrète.
 

La silhouette caractéristique de la
Tour Magdala se découpe sur le ciel.


 

Les jardins, la Tour et le chemin de ronde

- un Chemin de Ronde

En demi-cercle, il est bâti sur des caves voutées et relie la Serre à la Tour.
 

A cela s’ajoutent, au fil du temps, des milliers de livres qui viendront garnir la Tour Magdala, des œuvres d’art dont seront ornés les murs de la villa, des animaux exotiques (singes, perroquets, paons…) qui déambuleront à leur aise dans les magnifiques jardins à la française du presbytère.

Tout a été payé, rubis sur l’ongle, aux différents corps d’état, artistes, fournisseurs et artisans qui ont œuvré ici. Sans qu’on ne connaisse l’origine des fonds. Et c’est sur cette interrogation que va se bâtir la légende de l’abbé Saunière et de Rennes-le-Château.

Reconstitution de l’intérieur du presbytère de Rennes-le-Château,
 avec les répliques en cire de l’Abbé Saunière et de la mère de sa servante Marie.



C’est que dans le petit bourg écrasé de soleil ou de vent, selon les saisons, les langues vont bon train. Des rumeurs circulent : on a vu, dans le cimetière, l’abbé et sa servante fouiller des tombes. Des ouvriers, en défonçant le dallage de l’église, auraient aperçu une poterie remplie d’objets brillants. Des documents (secrets ?) auraient été mis à jour dans un ancien balustre de l’autel. Les villageois en tirent rapidement la conclusion que l’abbé a trouvé un trésor !
 
 

Crane percé, trouvé par Bérenger Saunière lors de ses fouilles.
Il daterait de l’époque des Wisigoths. 

Fragment du journal de Bérenger Saunière.
On y lit, à la date du 21 septembre 1891 :
« Découverte d’un tombeau le soir pluie. »

L’évêché, alerté par les dépenses du prêtre, s’émeut et demande des comptes. L’abbé refuse de s’expliquer. Il sera suspendu pour trafic de messes. A l’époque en effet, les curés étaient autorisés à monnayer les messes auprès des fidèles et à en conserver le profit. Malgré cette disgrâce et cette peine infamante, l’abbé tient bon. Il meurt le 22 janvier 1917 et l’on découvre alors que tous ses biens sont au nom de sa servante Marie Denardeau. Celle-ci, malgré les pressions, ne révélera rien du secret de son abbé. Selon Noël Corbu, qui prend le domaine en viager, elle aurait un jour laissé toutefois échapper une petite phrase qui en dit long : « Les gens d’ici marchent sur de l’or, sans le savoir ». Elle aurait aussi promis au même Corbu de tout lui révéler avant de mourir. Malheureusement, une attaque cérébrale va ruiner ce projet. Elle disparaît le 29 janvier 1953 avec son secret.

La tombe de l’Abbé Saunière, dans les jardins de son domaine, à Rennes-le-Château

C’est à partir de ce moment que la légende de Rennes-le-Château va naître, grandir et prospérer. Des écrivains, des archéologues, des gourous, des loufoques s’y intéressent et chacun y va de sa théorie et de son opuscule. Ajoutons-y les canulars et les escroqueries et plus personne n’y comprend grand-chose. Mais tout le monde reste fasciné par cette histoire.

 Car les faits sont là et la matérialité des lieux s’impose à tous.

Maquette du domaine de Béranger Saunière exposée au Musée de Rennes-le-Château

La villa, la tour, l’église sont bien réelles et ont bien été financées par l’abbé. Des spécialistes ont calculé que de 1896, date des premiers travaux, à 1917, date de sa mort, l’abbé aurait dépensé l’équivalent de 2 millions de nos euros actuels. Ce n’est pas rien, pour un curé de campagne. Et ce n’est sûrement pas un trafic de messes, aussi juteux soit-il, qui aurait pu générer de pareils revenus. D’ailleurs, l’évêque interrogé plus tard sur cette accusation aurait avoué : « Il fallait bien trouver quelque chose pour le condamner ».

D’autres « pistes » ont été soulevées par les chercheurs, dont certaines sans doute de la plus haute fantaisie mais qui participent à l’alimentation du mythe :
 

- La découverte d’un trésor, dans l’église ou aux alentours.

L’abbé aurait effectivement offert à un confrère des pièces de monnaie anciennes et des bijoux wisigothiques à une nièce de sa servante. Ce qui confirmerait bien l’existence d’un trésor mais dont l’origine varie selon les sources : trésor de Blanche de Castille, des Templiers, des Wisigoths, des Cathares…
 

- La découverte de documents anciens porteurs d’un formidable secret.
 
 

Des témoins ont confirmé que des « papiers » avaient été trouvés dans une fiole de verre cachée dans un balustre de l’autel. Ces documents auraient été emmenés par Saunière à Paris pour décryptage et ont disparu depuis. On s’interroge encore sur leur contenu.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Ci-contre, le balustre, montrant la cache secrète (la fiole et le parchemin sont des fac-similés) - Musée de Rennes-le-Château.


 
Parmi les thèses avancées, la plus spectaculaire (et improbable ?) est celle de documents attestant que Marie-Madeleine serait parvenue jusqu’en France, avec un enfant de Jésus (ou, dans certaines versions, Jésus lui-même !) laquelle aurait ainsi fondé la dynastie des Mérovingiens.

Cette idée, qui tente de ruiner les fondements de la foi chrétienne, a été reprise dans le roman « Da Vinci Code » de Dan Brown. En l’occurrence, même si l’église de Rennes-le-Château est consacrée à Sainte Marie-Madeleine et même si Bérenger Saunière est un prêtre hors du commun, on le voit mal faisant chanter le Vatican.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Dans l’église de Rennes-le-Château, statue représentant Marie-Madeleine, sainte à laquelle l'édifice est consacrée.

- Dernière hypothèse en date : un trafic de faux documents.
 

Ceux-ci prouveraient que Louis XVII n’est pas mort au Temple, mais qu’il a survécu et eu une descendance. La lignée des Capet serait donc la seule légitime à briguer le trône de France (contre celle, officielle jusqu’à preuve du contraire, des Orléans). Saunière aurait participé à cette mystification et touché le prix de son silence. Un scénario approchant, mais concernant la famille des Habsbourg cette fois, a été également évoqué car il semble acquis que l’abbé reçut dans sa villa Béthanie un représentant de cette dynastie. Tout ceci sur fond de sociétés secrètes (Rose-Croix et Franc-Maçonnerie) avec lesquelles l’abbé aurait été en contact régulier.
 
 
 
 
 
 
 

Une des stations du Chemin de Croix commandé par Béranger Saunière.
On y voit une scène non prévue dans le Nouveau Testament : la Veuve présentant son enfant (en habit écossais !) à Jésus portant la Croix.
Certains y voient une allusion à la Franc-Maçonnerie.

 


 

Le mystère demeure donc entier. Si le cœur vous en dit, que cela ne vous empêche pas de venir parcourir le domaine de l’Abbé Saunière. Mais attention ! Comme l’édicte le premier panneau que l’on voit en entrant dans Rennes-le-Château : « Fouilles interdites sur tout le territoire de la commune » !

 

A défaut de trésor, vous gagnerez ici une vue imprenable sur les environs et respirerez le parfum de mystère qui imprègne encore les lieux, après toutes ces années. En attendant l’heure des révélations, rêvons un peu…
 



Texte de Guy Robert – Photos de Claudine et Guy Robert - Documents du Musée de Rennes-le-Château - © Linutil – septembre 2018