Je suis né sous un
sapin, mais il ne faisait pas froid : les lumières d'une fête,
toute nouvelle pour moi, me réchauffaient. Et celle qui m'était
destinée était bien là. Elle m'attendait. Elle me
prit dans ses bras et me berça, comme un bébé, alors
qu'en fait j'avais déjà l'âge de raison : la preuve
c'est que j'écoutais toutes les histoires qu'elle voulait bien me
raconter, toutes les joies qu'elle venait me confier, tous ses chagrins,
ses colères. Car elle savait me trouver, toujours à ma place,
sur ma petite chaise, immobile et disponible. Eternellement attentif.
On faisait de moi ce qu'on
voulait : tout un chacun bougeait qui mes bras, qui mes jambes, qui ma
tête, ce qui était bien pratique pour regarder le paysage.
Une bonne alimentation ne m'étant nullement nécessaire, je
ne mangeais pas à heure fixe, ni tous les jours. Je venais à
table, comme toute la famille, mais ne touchais pratiquement à rien
et cela n'altérait pas le moins du monde le rebondi de mes joues.
On me conviait souvent, vers les quatre heures de l'après-midi,
à des repas fins, spécialement préparés pour
nous, les "petits", comme on nous appelait. Il y avait là des mets
délicats, parfois fort curieux : glands saupoudrés de sucre,
feuilles de platane hachées menu avec des caramels, soupe de persil
et de marguerites ou de noisettes, selon la saison. Et il convenait de
faire honneur à un tel festin, sous peine de fessées qui
ne rougissaient d'ailleurs que les mains de celle qui les donnait.
Et il y avait les sorties…
Essentiellement le jeudi, mais par tous les temps. Elle m'habillait. J'étais
en général très fier de mes habits, bien qu'elle me
couvrit toujours trop. Elle avait la fâcheuse habitude de vouloir
me faire revêtir l'intégralité de ma garde-robe : tricot
de corps, deux pulls, pantalons (un long et un court), petits chaussons
de laine, manteau, bonnet et parfois une écharpe ! Et tout cela
après de multiples et interminables essayages qui me laissaient
les articulations douloureuses et la tête à l'envers. Enfin,
ces promenades me faisaient prendre l'air, du moins pour les rares parties
de mon corps qui dépassaient.
J'oubliais la toilette. Je
la soupçonnais de me laver plus qu'elle : tout y passait et souvent
plusieurs fois de suite. A essayer de peigner en vain ma mèche rebelle,
j'avais comme des zébrures sur le front. Quand il n'y avait personne
à la maison, j'avais droit à l'eau, au savon, au dentifrice
et même à l'eau de Cologne ; mais quand il y avait du monde,
elle me bichonnait avec une petite serviette, sans eau, de peur sans doute
de tacher le tapis.
Je ne dormais jamais, mais
elle tenait pourtant à me mettre au lit. Alors moi, docilement,
je disparaissais sous les couvertures, attendant, les yeux grand ouverts,
que le jour se lève et que les jeux recommencent.
Bien sûr, elle a grandi.
Pas moi. Mais elle ne m'a pas oublié. Moi non plus ; et sous ma
peau de celluloïd bat toujours le petit cœur de Jeannot, son baigneur.
* *
A Claudine, en mémoire de son baigneur "Jeannot".
© Guy ROBERT 2020 |