Mars 2020
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MURMURES AU JARDIN


Ce matin, en descendant au jardin, j’ai aperçu les premières fleurs du printemps. Et par je ne sais quel miracle ou amélioration extraordinaire et soudaine de mon ouïe, j’ai pu surprendre leurs conversations.

D’abord, et sans doute parce qu’elles sont les fleurs par excellence du printemps, il y avait tout un attroupement de primevères, qui discutaient comme des commères sur le marché.

–  Dites, les filles, c’est ce matin qu’il arrive !
–  Qui qu’arrive ?
–  Ben, l’printemps, pardi !
–  Déjà ? Mon Dieu, faut que je m’arrange…
–  Mais tu es très bien comme ça.
– Oui, tu es très bien, renchérit une autre primevère. De toute façon, l’printemps, il passe toujours en courant.
–  … quand il passe !
–  Eh oh ! Eh oh ! Là-dessous ! Un peu de respect, les donzelles !

C’était le prunus qui râlait. Son ton bourru dissimulait mal sa peur d’un gel retardataire et fatal à ses fleurs épanouies trop tôt.
 

– Y'a plus d'saison, insistait-il, mais c'est tout de même aujourd’hui, le printemps, et bientôt l’été…
–  C’est quoi « l’été » dit une petite voix.

Ça, c’était une jeune pousse de l’année qui n’avait pas encore vécu le ballet habituel et régulier des saisons ; une ignorante, en somme.

– Ah ! Innocente ! soupira, entre deux quintes de toux, l'amoureux camélia. Ça me verdit le pétale d'entendre ça, et me rappelle mon enfance. Eh oui, petite, retiens bien : après le printemps, c'est l'été, puis vient l'automne et enfin l'hiver.
Le narcisse, tout à sa propre contemplation, n'en finissait pas de se pavaner dans sa jaune splendeur.

"Eh oui, c'est la ronde des saisons, le cycle de la vie", pérorait-il.

Et d'ajouter : "Ne suis-je d'ailleurs pas, dans ce perpétuel renouvellement, le plus beau et le plus à même d'accueillir le printemps comme il le mérite ?"

 – C'est ça ma poule, ironisait l'oignon du même narcisse, plus terre à terre. Mais qu'est-ce que tu serais sans moi, petite tête ? Et bien moi si tu veux le savoir, le printemps, ça m'épuise, ça me suce les forces. Alors vivement l'hiver que je me refasse une santé.
 – Sornettes, sornettes que tout cela !
Au fond du jardin, le vieux rosier n'en était encore qu'à pousser quelques chétives feuilles vertes vers la lumière. Les roses, ça serait pour plus tard, s'il pouvait. A son âge, il avait de plus en plus de mal avec le printemps qui réveillait ses vieilles douleurs. Qu'importe ! Il n'en entendait pas moins les babillages futiles du jardin et ça le rendait bougon. "Sornettes, sornettes que tout cela !" répéta-t-il. Sa voix était noueuse, décharnée, mais portait loin. Le silence se fit.

"Printemps, automne, hiver, été, sornettes, sornettes, je vous le dis !" Puis il se tut tout aussi soudainement. Au fond de lui, il ne voulait ni décourager les plus jeunes, ni assombrir cette belle journée. Le secret, il le connaissait. Il l'avait découvert sur le tard, mais laissait aux générations montantes le soin de le découvrir par elles-mêmes. Le grand secret, c'était juste quelques mots que lui avait balbutiés une vieille souche sur le point de passer l'arme à gauche :

"Ce ne sont pas les saisons qui passent, mais nous qui passons."

Mais l'aurait-il révélé ce secret que cela n'aurait pas empêché les pâquerettes, ces espèces de folles, de faire la ronde en chantant à tue-tête.


– Ah, jeunesse ! soupira-t-il en secouant la rosée de ses feuilles qui roula, comme une larme, sur son vieux tronc fatigué.
 




 
Texte et photos de Guy Robert – © Linutil - Mars 2020