J'ai toujours aimé les machines à écrire.
Tout jeune, je rêvais d'en posséder une. A l'époque,
j'écrivais des petites histoires, des poèmes… et la machine
à écrire me semblait être l'antichambre obligée
de la publication, une "impression d'impression", en quelque sorte. J'ai
fini par convaincre mes parents de m'en offrir une. Oh, modeste, mais déjà
assez chère, une petite portable, la "Japy-Message".
Devant son clavier, je me prenais carrément pour
Hemingway, ou ces reporters qu'on voyait alors dans les Bandes Dessinées
américaines, chapeau rejeté en arrière, pipe à
la bouche et qui tapaient leur article à toute vitesse sur le coin
d'un bureau. Elle m'accompagnait partout, cette petite machine, et on a
fait un bon bout de chemin ensemble. Sur son clavier, j'ai tapé
des kilomètres de mots. Pendant quelques numéros, à
l'occasion des grandes vacances, j'ai même lancé un journal
familial "Le Scribouillard", à raison de 2 exemplaires par
numéro (3 livraisons en tout !) :
Ah ! les plaisirs de la machine à écrire
! C'est vrai qu'au rang de ses avantages, on peut mettre son accessibilité
et sa facilité de mise en œuvre : pas besoin de courant, toujours
prête à servir. On glisse une feuille dans le rouleau et nous
voilà à pied d'œuvre, c'est le cas de le dire. Par contre,
les fautes de frappe doivent être traitées à la gomme.
Les ajouts, déplacements de phrases ou de paragraphes nécessitent
patience, colle et ciseaux. Et si l'on désire plusieurs exemplaires,
le "papier carbone" est notre ami salissant. Dans ces temps reculés,
au bureau, on tapait des factures, des courriers, des notes ou des rapports
avec parfois 7 doubles. Le papier utilisé, dit "pelure", était
très fin et souvent de différentes couleurs en fonction de
la destination de l'exemplaire et de l'organisation du classement. Par
exemple :
- l'original, la première feuille, en
vrai papier, généralement à en-tête, était
réservé au destinataire principal de la lettre, de la note…
- le second exemplaire (1ère pelure) au service
rédacteur de la lettre
- le troisième à la comptabilité
- … et le 7ème exemplaire aux archives. Celui-là
était si pâle et si brumeux qu'il en était pratiquement
illisible.
Inutile de dire qu'avec cette procédure, la
moindre erreur de frappe demandait un temps de correction considérable.
Un peu d'histoire...
1714 : premier brevet de
machine à écrire déposé par l'anglais Henry
Mill
1850 : invention d'une machine
avec ruban encreur à Baltimore
1867 : Christopher Latham
Sholes met au point l'ancêtre de la machine à écrire
moderne. Ce prototype sera ensuite produit en série, à partir
de 1873, par la firme Remington.
1872 : Mark Twain devient
le premier écrivain à soumettre à son éditeur
une œuvre exclusivement "tapée à la machine", le fameux "Tom
Sawyer".
1914 : Invention de la première
machine électrique.
1935 : Commercialisation
de la plus petite machine à écrire portable, l'Hermès-Baby.
Elle sera utilisée par de célèbres écrivains
(Hemingway, Steinbeck, Ionesco). On la produit jusqu'en 1989.
1961 : Premières machines
"à boule" par IBM. Cette nouvelle technique permet de changer rapidement
de caractères en cours de frappe, par exemple pour écrire
en gras ou en italique.
1986 : Canon met sur le marché
la machine à écrire électronique avec écran.
Grâce à sa mémoire de 3 lignes, elle permet les corrections
et annonce l'ordinateur personnel.
2011 : Fermeture de la dernière
usine au monde à fabriquer des machines à écrire (aux
Indes). Cette fois, notre bonne vieille machine est définitivement
supplantée par l'ordinateur et on ne la rencontre plus que sur les
brocantes ou dans les musées. |
Si les machines à mémoire ont simplifié
le travail, l'ordinateur, lui, apporte une solution globale au problème,
allant même jusqu'à la dématérialisation complète
des opérations (envoi de courrier électronique). Ce qui,
mais c'est une autre histoire, n'empêche pas l'impression sur papier
à tous les bouts de la chaîne… et peut-être même
davantage qu'avant !
Moi, je n'avais pas ces soucis. Je réalisais un
exemplaire, deux au maximum, avec carbone, mais sur du papier ordinaire.
J'avais beau faire mon malin et rêver de littérature, je n'écrivais
pas directement à la machine, comme pouvaient le faire les véritables
écrivains : je recopiais ce que j'avais écrit, dans un premier
temps, à la main.
Pour ceux qui l'ignorent, le manuscrit tapé
à la machine s'appelle un "tapuscrit". Car ça tape,
non ? Ah, le bruit de la machine à écrire… C'est vrai que
pour ceux qui travaillent la nuit, c'est un vrai problème. Je me
suis toujours demandé comment les voisins de chambre, à l'hôtel
où descendait Hemingway, pouvaient supporter le bruit de sa machine
quand, revenant de la tournée des bars, il se mettait à écrire
à 4 heures du matin !
Un peu de technique…
La disposition des caractères
sur le clavier d'une machine à écrire a été
déterminée afin de répartir les lettres les plus fréquemment
employées entre les 2 mains et d'assurer une certaine fluidité
dans la frappe. C'est donc une disposition qui tient à la fois à
des raisons mécaniques et à la langue utilisée. Il
en existe plusieurs, nommées par les premières lettres de
la première rangée des touches.
On parlera ainsi de clavier
"AZERTY"
dans les pays francophones, ou de clavier "QWERTY" chez les anglophones.
Mais il y a des claviers japonais, russes, arabes…
Il est à noter que l'on a
conservé de nos jours cette disposition des lettres dans les claviers
d'ordinateur alors que la contrainte mécanique qui la justifiait
n'existe plus. Mais revenir à un clavier alphabétique, par
exemple, aurait remis trop en cause les habitudes acquises et diminué
la vitesse de frappe.
Tiges et caractères de frappe.
L'ordre des lettres est différent de celui du clavier et étudié
pour éviter les "emmêlements" de tiges : ainsi le "Z" jouxte
le "W", par exemple, car il est rare de trouver des mots dans lesquels
Z et W se suivent... sauf dans le nom de l'écrivain ZWEIG !
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Ma petite Japy, arrivée au bout du rouleau (c'est
le cas de le dire), a disparu je ne sais où. Un jour, dans une brocante,
j'ai trouvé une Underwood (modèle 319), petite machine
portable, tout en rondeur.
|
Je lui fais prendre l'air de temps en temps,
histoire de retrouver la sensation de liberté et de spontanéité
de l'écriture mécanique.
Mais l'écriture est pâle, le rouleau un peu
grippé et mes doigts ont perdu leur force de frappe, car il ne faut
pas avoir peur de taper sur ces vieilles touches récalcitrantes,
quitte à s'y coincer un doigt ! |
Faut dire que le clavier de l'ordinateur nous pousse à
la paresse et la mollesse de ses touches nous fait perdre du muscle. Mais
c'est tout de même bien pratique ! On peut changer l'ordre des mots
(comme Monsieur Jourdain), des paragraphes, des pages, sans tout refaire
; modifier aisément le style et la taille des caractères
; imprimer dans une qualité proche de celle de l'imprimerie et en
autant d'exemplaires (tous identiques et de qualité) que l'on veut
; Coriger facliment les fauets de frape… Alors, oui, vive l'ordinateur
! Mais cela n'empêche pas d'avoir une pensée émue pour
son ancêtre mécanique.
Un peu de réclame…
Quelques firmes célèbres
se sont illustrées sur le marché des machines à écrire
:
Remington, marque
américaine (Etat de New York), la mère de toutes, également
très connue pour ses fusils et ses revolvers (qui, eux, font "tac-tac-tac"). |
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Japy, marque
française, à Beaucourt, Territoire de Belfort. Il existe
un Musée Japy. |
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Olivetti, italien, devient
leader mondial avant de se consacrer à l'informatique.
Underwood, américain,
a la particularité d'avoir commencé par fabriquer des rubans
encreurs pour la concurrence avant de se lancer dans la réalisation
de ses propres machines (de 1895 à 1933). L'entreprise (et les modèles
qu'elle commercialisait) seront repris par Olivetti en 1963.
Triumph-Adler (allemand).
Est d'abord racheté par Grundig puis revendu à un américain
pour finir dans le giron d'Olivetti. C'est cette société
qui lancera les premiers ordinateurs en couleur portables.
Olympia (allemand),
va commercialiser le modèle "Mignon", une des plus petites
machines à écrire du monde, utilisant la technique dite "à
levier", sans clavier. |
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Hermès.
Contrairement aux autres marques citées, celle-ci ne porte pas le
nom de l'entreprise qui l'a créée. En effet, nous la devons
à l'établissement suisse Paillard. L'Hermes-Baby est
la plus célèbre des machines à écrire portatives,
car utilisée par nombre d'écrivains, reporters, journalistes
et politiques de ces années-là. |
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Typo (français) :
c'était le nom de marque choisi pour ses machines à écrire
par la Manufacture d'Armes et Cycles de Saint-Etienne (Manufrance).
Ci-dessous, la page du catalogue de Manufrance de 1931.
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Vous me direz : "Oui, c'est beau la nostalgie, mais à
quoi peut bien encore servir, de nos jours, une vieille machine complètement
dépassée ?"
Mais à tout ce que les technologies nouvelles
ont justement du mal à réaliser facilement ou pour tout ce
qui ne justifie pas leur emploi. On citera :
- les étiquettes diverses et variées
("Confiture
de Cerise")
- les petits mots doux ("La confiture est au frigo")
- les mémos ("Ne pas oublier la confiture de
cerise")
- les listes de choses à faire ou à acheter
("Pots
de confitures – Cerises")
Certes, rien de bien littéraire dans tout cela,
mais pratique ! C'est dans ce genre d'utilisation que l'on comprend qu'une
machine à écrire est comme un stylo : directement de la pensée
au papier, sans préparation, sans mise en œuvre compliquée,
immédiatement. En fait, un véritable travail artisanal, comme
le menuisier avec le bois, le peintre avec la couleur, le jardinier avec
la terre.
Un peu de spectacle …
Où la machine à écrire
fait sa star. Elle est en effet l'accessoire vedette des polars et films
noirs, qu'elle soit aux mains d'un inspecteur de police, d'un journaliste
d'investigation, d'un escroc, d'un romancier raté. Et toujours la
séquence frisson, quand l'enquêteur, après un examen
scientifique des caractères, retrouve la machine sur laquelle la
lettre de rançon a été tapée. Exploit improbable
avec les ordinateurs et imprimantes, trop parfaits et sans personnalité,
que nous connaissons maintenant.
Quelques petites citations :
"Misery" : dans le film tiré
du roman de Stephen King, la machine à écrire utilisée
par l'écrivain prisonnier est une Royale 10. D'occasion.
Car elle perd ses lettres une par une, obligeant le héros à
de fastidieuses corrections au crayon. Sur la fin, elle servira d'arme
lourde, cette machine étant tout sauf portative (et mortelle à
l'occasion).
"The Typewriter" : le compositeur
Leroy-Anderson
a écrit une célèbre musique pour machine à
écrire et orchestre. Jerry Lewis en a immortalisé une version
filmée. En concert, c'est une véritable machine à
écrire qui est utilisée.
La dactylographie étant
l'art de taper à la machine, il a existé des concours de
dactylographie, alliant vitesse et précision, le but de la performance
étant de taper dans un minimum de temps le maximum de mots avec
le moins de fautes possible. Un film ("Populaire" en 2012) retrace
les coulisses d'un tel exploit. Ce type de performance existe encore de
nos jours mais s'effectue sur clavier d'ordinateur et a changé son
appellation en "concours de production de texte". Actuellement, le champion
du monde est un italien, avec un score de 969 caractères à
la minute et zéro faute !
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Après avoir soustrait la feuille à l'étreinte
de la machine, retournez-la et passez votre doigt au verso. Vous sentez
? Les mots y sont inscrits, en relief, comme sculptés dans le papier.
Et ça, vous ne l'obtiendrez jamais avec les outils aseptisés,
silencieux et propres de nos nouvelles technologies.
Alors de ce pas, je vais retranscrire tout cela sur ma
vieille bécane :
"Tap – tap – tap – tap…"
Texte et photos de Guy Robert
Wikipédia pour l'historique et les référence
des anciens modèles de machine à écrire – Copyright
Linutil septembre 2020.
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