Juillet-Août 2022

 
Les autres N°


LES JOUETS OUBLIES



 
 
Au grenier, j'ai retrouvé la vieille malle à jouets de mon enfance.

J'ai chassé la poussière, qui a miroité ensuite dans les rayons dorés du soleil. Puis j'ai tiré sur le couvercle. Il s'est ouvert en grinçant, comme un vieux coffre de pirate. En guise de trésor, des jouets anciens, oubliés et qui, dans la lumière chiche du grenier, sont apparus les uns après les autres, comme des amis retrouvés.

Une fois la malle vidée, tous ces jouets formaient autour de moi une ronde joyeuse et, dans le silence du grenier, c'est à qui sortirait de l'ombre pour prendre la parole et raconter son histoire. Alors je m'assis au milieu d'eux pour les écouter à tour de rôle.



 
Il y avait d'abord le tir aux pigeons, avec ses fusils en bois et ses fléchettes à ventouse de caoutchouc.
Il participa à d'innombrables  chasses au gros gibier, à d'épiques batailles du temps où "jouer aux cow-boys et aux indiens" était encore permis. La Manufacture d'Armes et Cycles de Saint-Etienne ("Manufrance"), qui équipait les papas en fusils de chasse, fabriquait le fusil "Eureka" pour les fistons.
 C'était un jeu de plein air, bien entendu : interdiction de chasser en appartement, pour cause de miroirs et autres portraits d'ancêtres toujours malencontreusement placés sur les trajectoires. Et n'en déplaise aux moralistes de tout poil qui fleurissent depuis quelque temps, ce jeu ne m'a pas davantage donné envie de tuer les pigeons.

Autre jeu d'extérieur, le diabolo. Il s'agissait d'une sorte de nœud papillon qu'il fallait faire tourner grâce à une ficelle tendue entre deux bâtons. L'instrument s'étant stabilisé en tournant à toute vitesse (effet dit "gyroscopique"), on l'envoyait alors dans les airs, en écartant brusquement les deux bâtons. A partir de là débutait la phase acrobatique et délicate du jeu : rattraper le diabolo sur la ficelle, avant qu'il ne touche le sol (ou le nez de l'opérateur). Pour les plus doués, on pouvait, avec deux paires de baguettes, jouer en duo en se passant l'objet tournoyant. Certains artistes ont fait plus tard une véritable discipline sportive et spectaculaire de ce jeu d'enfants.


Pour les jours de pluie (il y en avait parfois durant les vacances de cette époque), on sortait le théâtre de marionnettes. Un vrai ! Avec décors et rideau rouge. Les personnages, faits de terre cuite et de tissu, jouaient le répertoire classique où le Gendarme court après Guignol. 
Là, il fallait être plusieurs pour assurer la représentation et étoffer le public. Car (demandez à tous les comédiens que vous rencontrez) jouer devant une salle vide est un crève-cœur. Alors on frappait les trois coups et la pièce commençait devant les yeux ébahis du parterre en liesse. Ours en peluche et poupées plus ou moins bancales formaient ce cher public, silencieux mais bienveillant.


 
Quand le soleil brillait de nouveau, qu'une petite brise venait chasser les nuages et sécher les prairies, il était temps de prendre notre envol. En fait, l'envol en question concernait plutôt un magnifique cerf-volant, fait de toile fine et de bambous légers. Les bons jours, c'est-à-dire les jours où on pouvait compter sur un vent régulier, il s'arrachait de terre dans un bruissement de tissu malmené et s'installait dans le ciel, vibrant de toute sa voilure. Les rubans multicolores décorant ses ailes attiraient les oiseaux qui venaient défier ce collègue encombrant. Des incidents de vol troublaient parfois la fête… Quand, par exemple, une bourrasque traitresse jetait l'engin dans un arbre ou quand la ficelle cassait, libérant pour sa perte le cerf-volant qui tombait alors comme une feuille morte et qu'il fallait secourir ensuite parmi les hautes herbes et les taillis. Mais tous ces efforts valaient bien les quelques instants de bonheur à voir flotter, haut dans le ciel, ce petit triangle coloré, si fragile vu d'en bas.
Puis à un moment ou à un autre, il fallait bien ramener le cerf-volant sur terre, le décrocher du ciel et ré-enrouler la ficelle qui avait si bien filé entre nos doigts. Il luttait pour rester au zénith, mais finissait toujours par obéir. On récupérait l'oiseau de vent, encore tout frémissant de sa course, on en démontait la membrure et, fiers de nous, retournions à la maison, pilotes chevronnés.

Le soir, sous la lampe, les plus grands jouaient aux dominos. Il fallait savoir compter jusqu'à six, mais on aidait les plus petits. Ah ! le bruit des petites plaquettes sur le bois de la table ! Et les dominos qu'il fallait "piocher" jusqu'à trouver (ou pas) celui qui nous autorisait à continuer la partie. "Double-Six !" Bien sûr, les adeptes des consoles de jeux d'aujourd'hui ne comprennent rien à mon jargon ! Au fait, le domino qui ne comportait aucun point noir n'était pas un "double-zéro", comme on aurait pu le croire, mais un "Double-Blanc". Raison pour laquelle, peut-être, les dominos permettaient de jouer l'apéro dans les bistrots : "Eh ! Pierrot ! Un blanc… un double !"


C'est une petite ferme en bois, avec un toit rouge et des volets verts. Un jouet comme on n'en fait plus. Devant, une cour en gravillons collés imite à s'y méprendre les pierres et la poussière des vraies cours de ferme. On y dépose tous les petits personnages en plastique qui tiennent imperturbablement leur rôle de fermiers ainsi que les animaux traditionnels : poules, oies, canards, cochons… Ici, le matériel agricole (charrue, herse, semoir, faucheuse…), non encore mécanisé, est tiré par des chevaux. Les femmes ont des tabliers et transportent des seaux de lait, tandis que les hommes, en bleus et en chapeau, conduisent la brouette ou bucheronnent avec de lourdes haches. Oui, c'est la ferme des années 50, monde agricole d'avant l'Europe des subventions, des quotas, des satellites espions, avant l'électronique. Et nous, enfants des villes, nous faisons travailler infatigablement ces petits fermiers en plastique, figés dans leurs gestes ancestraux, manœuvrant leurs troupeaux dociles et engrangeant d'imaginaires et miraculeuses moissons. Doux rêve…


Voilà une espèce de créature fantastique, improbable combinaison entre un animal, un moteur et un instrument de musique : l'ours en voiture qui joue du tambour. Une clef permet de remonter le moteur à ressort, puis on lâche la bête. Celle-ci se met alors à tourner en dodelinant de la tête et en frappant à coups redoublés sur son petit tambour de métal. Inlassablement. Et jusqu'à ce que le ressort, détendu, mette fin à cette bruyante démonstration. C'est mon épouse qui voulut ce jouet mais c'est moi qui le remonte, et on le regarde tourner et tambouriner, comme des enfants.


Au fond de la malle, j'ai trouvé un dernier jouet, encore un de ces trésors que notre époque a oubliés : le jeu de construction en bois. Des cubes décorés, de toute dimension ; des pans de mur avec fenêtres en papier ; des toits rouges.  Il y avait même une sérié d'éléments propres à édifier de véritables châteaux de princesse, avec porche et pont-levis, comme on en voit dans les films.

Nous, les petits, nous construisions ces châteaux pour les assiéger avec nos troupes de chevaliers en plastique et les détruire pierre par pierre, sous le feu de nos canons à élastique. Batailles mémorables que nous prolongions à coups d'épées en bois et de chevauchées fantastiques, dans l'herbe des prés, les prés tendres et verts de l'enfance.


Texte et photos de Guy Robert - Jouets d'époque - ©Linutil, juillet 2022