Au grenier, j'ai retrouvé la vieille malle à
jouets de mon enfance.
J'ai chassé la poussière, qui a miroité
ensuite dans les rayons dorés du soleil. Puis j'ai tiré sur
le couvercle. Il s'est ouvert en grinçant, comme un vieux coffre
de pirate. En guise de trésor, des jouets anciens, oubliés
et qui, dans la lumière chiche du grenier, sont apparus les uns
après les autres, comme des amis retrouvés.
Une fois la malle vidée, tous ces jouets formaient
autour de moi une ronde joyeuse et, dans le silence du grenier, c'est à
qui sortirait de l'ombre pour prendre la parole et raconter son histoire.
Alors je m'assis au milieu d'eux pour les écouter à tour
de rôle.
|
Il y avait d'abord le
tir aux pigeons, avec ses fusils en bois et ses fléchettes
à ventouse de caoutchouc.
Il participa à d'innombrables chasses au
gros gibier, à d'épiques batailles du temps où "jouer
aux cow-boys et aux indiens" était encore permis. La Manufacture
d'Armes et Cycles de Saint-Etienne ("Manufrance"), qui équipait
les papas en fusils de chasse, fabriquait le fusil "Eureka" pour les fistons.
C'était un jeu de plein air, bien entendu
: interdiction de chasser en appartement, pour cause de miroirs et autres
portraits d'ancêtres toujours malencontreusement placés sur
les trajectoires. Et n'en déplaise aux moralistes de tout poil qui
fleurissent depuis quelque temps, ce jeu ne m'a pas davantage donné
envie de tuer les pigeons. |
Autre jeu d'extérieur, le
diabolo. Il s'agissait d'une sorte de nœud papillon qu'il fallait
faire tourner grâce à une ficelle tendue entre deux bâtons.
L'instrument s'étant stabilisé en tournant à toute
vitesse (effet dit "gyroscopique"), on l'envoyait alors dans les airs,
en écartant brusquement les deux bâtons. A partir de là
débutait la phase acrobatique et délicate du jeu : rattraper
le diabolo sur la ficelle, avant qu'il ne touche le sol (ou le nez de l'opérateur).
Pour les plus doués, on pouvait, avec deux paires de baguettes,
jouer en duo en se passant l'objet tournoyant. Certains artistes ont fait
plus tard une véritable discipline sportive et spectaculaire de
ce jeu d'enfants. |
|
|
Pour les jours de pluie (il y en avait parfois durant
les vacances de cette époque), on sortait le
théâtre de marionnettes. Un vrai ! Avec décors
et rideau rouge. Les personnages, faits de terre cuite et de tissu, jouaient
le répertoire classique où le Gendarme court après
Guignol. |
Là, il fallait être plusieurs pour assurer la
représentation et étoffer le public. Car (demandez à
tous les comédiens que vous rencontrez) jouer devant une salle vide
est un crève-cœur. Alors on frappait les trois coups et la pièce
commençait devant les yeux ébahis du parterre en liesse.
Ours en peluche et poupées plus ou moins bancales formaient ce cher
public, silencieux mais bienveillant.
Quand le soleil brillait de nouveau, qu'une
petite brise venait chasser les nuages et sécher les prairies, il
était temps de prendre notre envol. En fait, l'envol en question
concernait plutôt un magnifique cerf-volant,
fait de toile fine et de bambous légers. Les bons jours, c'est-à-dire
les jours où on pouvait compter sur un vent régulier, il
s'arrachait de terre dans un bruissement de tissu malmené et s'installait
dans le ciel, vibrant de toute sa voilure. Les rubans multicolores décorant
ses ailes attiraient les oiseaux qui venaient défier ce collègue
encombrant. Des incidents de vol troublaient parfois la fête… Quand,
par exemple, une bourrasque traitresse jetait l'engin dans un arbre ou
quand la ficelle cassait, libérant pour sa perte le cerf-volant
qui tombait alors comme une feuille morte et qu'il fallait secourir ensuite
parmi les hautes herbes et les taillis. Mais tous ces efforts valaient
bien les quelques instants de bonheur à voir flotter, haut dans
le ciel, ce petit triangle coloré, si fragile vu d'en bas. |
|
Puis à un moment ou à un autre, il fallait
bien ramener le cerf-volant sur terre, le décrocher du ciel et ré-enrouler
la ficelle qui avait si bien filé entre nos doigts. Il luttait pour
rester au zénith, mais finissait toujours par obéir. On récupérait
l'oiseau de vent, encore tout frémissant de sa course, on en démontait
la membrure et, fiers de nous, retournions à la maison, pilotes
chevronnés.
Le soir, sous la lampe, les plus grands jouaient aux dominos.
Il fallait savoir compter jusqu'à six, mais on aidait les plus petits.
Ah ! le bruit des petites plaquettes sur le bois de la table ! Et les dominos
qu'il fallait "piocher" jusqu'à trouver (ou pas) celui qui nous
autorisait à continuer la partie. "Double-Six !" Bien sûr,
les adeptes des consoles de jeux d'aujourd'hui ne comprennent rien à
mon jargon ! Au fait, le domino qui ne comportait aucun point noir n'était
pas un "double-zéro", comme on aurait pu le croire, mais un "Double-Blanc".
Raison pour laquelle, peut-être, les dominos permettaient de jouer
l'apéro dans les bistrots : "Eh ! Pierrot ! Un blanc… un double
!"
C'est une petite ferme en bois,
avec un toit rouge et des volets verts. Un jouet comme on n'en fait plus.
Devant, une cour en gravillons collés imite à s'y méprendre
les pierres et la poussière des vraies cours de ferme. On y dépose
tous les petits personnages en plastique qui tiennent imperturbablement
leur rôle de fermiers ainsi que les animaux traditionnels : poules,
oies, canards, cochons… Ici, le matériel agricole (charrue, herse,
semoir, faucheuse…), non encore mécanisé, est tiré
par des chevaux. Les femmes ont des tabliers et transportent des seaux
de lait, tandis que les hommes, en bleus et en chapeau, conduisent la brouette
ou bucheronnent avec de lourdes haches. Oui, c'est la ferme des années
50, monde agricole d'avant l'Europe des subventions, des quotas, des satellites
espions, avant l'électronique. Et nous, enfants des villes, nous
faisons travailler infatigablement ces petits fermiers en plastique, figés
dans leurs gestes ancestraux, manœuvrant leurs troupeaux dociles et engrangeant
d'imaginaires et miraculeuses moissons. Doux rêve…
Voilà une espèce de créature
fantastique, improbable combinaison entre un animal, un moteur et un instrument
de musique : l'ours en voiture qui joue du tambour.
Une clef permet de remonter le moteur à ressort, puis on lâche
la bête. Celle-ci se met alors à tourner en dodelinant de
la tête et en frappant à coups redoublés sur son petit
tambour de métal. Inlassablement. Et jusqu'à ce que le ressort,
détendu, mette fin à cette bruyante démonstration.
C'est mon épouse qui voulut ce jouet mais c'est moi qui le remonte,
et on le regarde tourner et tambouriner, comme des enfants. |
|
Au fond de la malle, j'ai trouvé un dernier jouet,
encore un de ces trésors que notre époque a oubliés
: le jeu de construction en bois. Des
cubes décorés, de toute dimension ; des pans de mur avec
fenêtres en papier ; des toits rouges. Il y avait même
une sérié d'éléments propres à édifier
de véritables châteaux de princesse, avec porche et pont-levis,
comme on en voit dans les films.
Nous, les petits, nous construisions ces châteaux
pour les assiéger avec nos troupes de chevaliers en plastique et
les détruire pierre par pierre, sous le feu de nos canons à
élastique. Batailles mémorables que nous prolongions à
coups d'épées en bois et de chevauchées fantastiques,
dans l'herbe des prés, les prés tendres et verts de l'enfance.
Texte et photos de Guy Robert - Jouets
d'époque - ©Linutil, juillet 2022
|