Septembre 2023

 
Les autres N°



Le plus simple appareil

Non ! Ce n'est pas un article sur le nu, mais sur la photographie sans appareil, autrement dit le "photogramme" et plus particulièrement le CYANOTYPE. Mais qu'est-ce donc que cette bête-là ?
 

1.  Petit retour en arrière
 
Le cyanotype est un procédé photographique monochrome mis au point par le scientifique anglais John Herschel, en 1842. Cette technique est reprise et développée un an plus tard par Anna Atkins, une botaniste britannique, technique grâce à laquelle elle réalise un herbier d'algues naturelles.

C'est là, sans doute, les toutes premières "photographies" réalisées au monde, faisant d'Anna Atkins la première femme photographe. Ce procédé sera vite éclipsé, auprès du public, par les avancées de la "vraie" photographie, et ne sera pratiquement plus utilisé. 

A noter, toutefois, que le fameux "bleu d'architecte" tire son nom de cette technique.


2.  Petit cours de chimie

En mélangeant du citrate d'ammonium ferrique et du ferricyanure de potassium on obtient, non pas l'élixir de longue vie, mais une solution photosensible qui réagit aux rayons UV du soleil.

Une feuille de papier enduite de ce mélange devient donc une surface photosensible qui se comporte comme une pellicule photo : les parties exposées à la lumière vont foncer, tandis que les parties cachées resteront intactes.

Après lavage à l'eau claire, le processus chimique est stoppé (on dit "fixé", dans le langage photographique). La feuille présente alors une couleur Bleu de Prusse caractéristique (d'où le nom "cyanotype" signifiant "empreinte bleue"), là où la lumière a frappé, tandis que les parties restées dans l'ombre retrouvent la blancheur du papier.

On obtient donc, en quelque sorte, le négatif d'une ombre chinoise. Tout le monde suit ou j'en ai perdu quelques uns en route ?


3.  Procédons au procédé…

Assez de théorie, passons à la pratique. Pour cette démonstration, nous utilisons le "Kit Cyanotype" développé par la marque Clairefontaine et commercialisé, entre autres, chez Rougier et Plé.

Il se compose :
- des produits (sous forme de poudre) nécessaires à la confection de la solution photosensible ;
- d'une seringue-pipette pour le dosage ;
- de feuilles de papier à dessin type "aquarelle"
- d'un pinceau plat

A ce matériel il faudra rajouter un récipient d'eau, une vitre et une planchette de la taille de la vitre.

Si les produits utilisés normalement sont inoffensifs, il est toutefois dangereux de les boire ou de les inhaler. Donc évitez de vous lécher les doigts. Enfin, protégez vos vêtements et votre plan de travail, car les taches sont tenaces.

Plusieurs étapes de la procédure devant être réalisées à l'abri de la lumière du jour, prévoyez d'obstruer les fenêtres, utilisez un éclairage artificiel et prévenez votre entourage afin que personne ne pénètre inopinément dans votre laboratoire et n'y fasse entrer le soleil.


Etape 1
 

Dans le pot A, délayez le citrate d'ammonium avec 20 ml d'eau, en vous aidant de la seringue graduée.

Faites de même avec le pot B qui contient, lui, le ferricyanure de potassium

Remuez bien le contenu de chacun des pots afin de dissoudre complètement les poudres qu'ils contiennent.
 


 
Ces produits ainsi préparés peuvent être conservés en l'état pendant plusieurs semaines.

Il existe dans le commerce (Cultura, Nature et Découvertes…) des produits A et B prêts à l'emploi, livrés en bouteille. Ce qui est évidemment plus pratique.
 


Etape 2

ATTENTION !
Cette étape est à réaliser en lumière artificielle, en bannissant toute lumière du jour.

Versez le pot A dans le pot B et remuez. 

Comme nous ne sommes pas dans "Harry Potter", il ne se passe rien d'extraordinaire.

Du moins en apparence. Car le mélange que vous venez de réaliser (20ml de citrate d'ammonium et 20ml de ferricyanure de potassium) est la solution photosensible que vous allez utiliser par la suite.

Vous pouvez conserver cette potion miraculeuse une quinzaine de jours au réfrigérateur, et toujours à l'abri de la lumière diurne (donc dans un flacon opaque).


Etape 3

Procédez toujours en l'absence totale de lumière du jour !
 

A l'aide d'un pinceau plat trempé dans le mélange que vous venez d'effectuer, enduisez une feuille de papier.

Pour de meilleurs résultats, préférez un papier aquarelle assez fort et de finition satinée. Et profitez que vous êtes bien installé et chaud-bouillant pour enduire plusieurs feuilles à la suite.

Faites sécher les feuilles ainsi préparées dans l'obscurité, au fond d'un tiroir par exemple.
Une fois sèches, les feuilles peuvent être conservées indéfiniment dans une pochette opaque, en attendant de les utiliser.
 
Elles constituent, en quelque sorte, la "pellicule" sur laquelle vous allez photographier vos œuvres.


Etape 4
 
A l'abri du jour, placez la feuille préparée à l'étape précédente sur une petite planchette, puis disposez-y les éléments décoratifs de votre choix.

Dans notre exemple, nous avons rassemblé des tiges de graminées et des graines de chardon, à la façon d'un herbier.

Recouvrez la composition ainsi réalisée d'une vitre, afin que les sujets soient bien appliqués contre le papier.

Enfin, vous pouvez sortir au soleil…
 


Etape 5

… et exposer à la lumière du jour votre montage !

Vous le laissez ainsi… un certain temps, ce temps incertain dépendant de l'ensoleillement. A titre d'information, en plein soleil, comptez environ 6mm d'exposition.



 
Etape 6
 
 
 
 
 

Retirez la vitre et les éléments de décoration et, sans plus attendre, rincez longuement à l'eau claire la feuille exposée, en en frottant légèrement la surface avec les doigts. Miracle de la révélation : le fond vire au bleu de Prusse intense et apparait en blanc la silhouette de votre composition.
 

Bien rincé et séché, le photogramme que vous venez d'obtenir ne bougera plus et pourra être exposé aux regards du public enthousiaste et du soleil complice.
 
 
 

Vous voilà donc devenu photographe sans appareil photo !
 
 
 
 
 

En attendant la révélation de vos propres tirages, patientez donc à l'ombre en visitant ma petite galerie personnelle…
 


4.  Mes premiers essais…
 
 


"Herbier"

Graines de Monnaie du Pape, feuilles et plume.
C'est un grand classique des photogrammes.


 
"Illustration"

Les traits de ce dessin ont été tracés au feutre noir sur une feuille transparente.

Après exposition, ils apparaissent donc en clair sur le fond bleu.
 

"Statue antique"

Le cyanotype donne toujours une empreinte négative, mais ici, on a exposé un négatif photo. Le résultat est donc positif car :

(-1)X(-1)=+1

du moins pour les plus "matheux" d'entre nous.

C'est un procédé qui s'apparente au véritable tirage photographique sur papier, tel qu'on le connaissait au bon (?) vieux temps de l'argentique.
 

Beaucoup d'autres sujets peuvent être utilisés pour produire des cyanotypes, avec plus ou moins de bonheur. Comme ici, par exemple, un simple napperon brodé au crochet a laissé son empreinte.

Le tout c'est d'essayer et de profiter des rayons du soleil, car sans lui pas de photogramme possible !

Pensez également aux trombones, vis, clous, chaînettes, formes découpées dans du papier calque, rouages de vieilles montres, grains de riz ou pâtes "alphabet" pour écrire des mots…
 
 

Et si vous avez le temps, cet automne, faites donc sécher une feuille dans un gros et ancien dictionnaire. L'été prochain, quand la feuille aura perdu de sa substance, vous aurez un sujet tout trouvé pour un beau cyanotype.
 
 


 


Les marques et magasins cités dans cette rubrique le sont à titre d'information.
Texte et photos de Guy Robert ©LINUTIL – septembre 2023