Novembre 2024

 
Les autres N°



Moulins de nos coeurs

Maurice Etienne Legrand, enfant, venait passer ses vacances à Donzy (Nièvre) dans la propriété familiale. Au fond de celle-ci, entre des vieux murs couverts de lierre, coulait une rivière, le Nohain. Plus tard, installé à Paris et désirant se lancer dans la carrière littéraire, il se souvint du Donzy de son enfance et prit comme pseudonyme celui de "Franc-Nohain". C'est sous cette identité que son talent de fabuliste (12 livres jusqu'en 1933) et de librettiste (on lui doit le livret de "L'Heure Espagnole", unique opéra de Ravel) fut reconnu par ses pairs et par le grand public. Il disparaît en 1934, à 61 ans. Ses trois enfants auront une carrière publique et artistique : la fille comme illustratrice, le premier garçon, Jean Nohain dit "Jaboune", devient un de pionniers de la télévision naissante tandis que son autre fils sera comédien au théâtre et au cinéma sous le nom de Claude Dauphin (nom de jeune fille de sa mère).

Notre Nohain a donc connu les feux de la rampe mais aussi la vie plus humble des métiers d'autrefois. Il fut un temps où, tout au long des 47 km de son cours, tournaient les moulins. On en a compté jusqu'à 59 sous le Premier Empire. Donzy en dénombrait 14 à lui seul, dont 7 pour moudre la farine. A cette époque, la force hydraulique était utilisée largement pour toutes sortes de machines et d'industries : foulon, tréfilerie, scierie… La 2ème moitié du XIXème siècle voit l'activité de ces moulins dépérir, puis s'arrêter définitivement  au profit des minoteries industrielles, tandis que les usines emploieront de plus en plus la vapeur puis l'électricité. Le Nohain redevient alors une simple rivière où il fait bon pêcher.



De ces moulins, il en demeure toutefois quelques uns… 

A Donzy, le Moulin de Maupertuis, transformé en écomusée, moud encore du blé, mais à titre pédagogique et touristique.

Un autre, le Moulin de l'Ile, en pressant les noix et les noisettes du pays, fabrique de l'huile renommée dans la région.

On voit ici le Nohain, canalisé, qui va alimenter la turbine du Moulin dont on aperçoit les bâtiments sous les arbres, tout au fond. Au premier plan, la coquette maison d'habitation du meunier.


Mais, sans doute le plus ancien et le plus pittoresque, reste celui qui nous occupe aujourd'hui :

"Le Moulin du Commandeur"...

Ce fameux "commandeur" n'est pas la statue vengeresse du même nom qui hante le "Don Juan" de Molière puis celui de Mozart. C'est une référence au titre de commandeur de l'Ordre Royal, ordre issu d'un plus ancien et renommé, celui de "Saint-Jean de Jérusalem", dit aussi "Ordre des Hospitaliers". C'est cette institution qui reçut les biens arrachés aux non moins fameux Chevaliers Templiers, après la dispersion de leur ordre et l'exécution de leurs membres.

On trouve trace de ce moulin dans les archives dès le 17ème siècle. Plus tard, il a appartenu au commandeur Jacques François Maxime de Chastenay, marquis de Puységur, un des disciples du célèbre magnétiseur Mesmer. Voilà sans doute pourquoi le lieu est consacré chaque année au culte des sorcières et autres démons d'Halloween. Et ceci grâce à Jean-Louis Chantreau, personnalité de Donzy bien connue, qui allie à ses talents de jardinier-décorateur, une passion érudite pour l'histoire. Les références et détails de cette chronique lui doivent beaucoup ; qu'il en soit ici remercié.

Vraies courges et faux champignons accompagnent les chrysanthèmes, fleurs de saison, qui illuminent le décor et nous invitent dans un monde magique..



 
Près de celui du Commandeur, on trouve un autre moulin, le "Foulon du Point du Jour". Edifice très ancien, ce moulin abritait 2 mécanismes distincts. L'un permettait d'extraire le tanin du chêne et du hêtre ; l'autre servait au foulage des draps. Pour mettre en œuvre cette dernière technique, une roue actionnait des marteaux de bois qui, par leurs coups répétés, feutraient l'étoffe de chanvre et de lin. Cette étoffe entrait ensuite dans la confection de vêtements rustiques, destinés généralement aux plus pauvres.

Draps et étoffes furent longtemps la spécialité de la Nièvre et de la Normandie. Cette industrie, comme bien d'autres par ici, disparaît du paysage économique dans les années 1870.

Cela n'empêche pas la sorcière de ricaner. Mais c'est pour la bonne cause, car cela attire le chaland qui, ainsi guidé, découvre les parages.  On dit que le diable se cache dans les détails, et des détails, il y en a… pour notre plus grand plaisir...
 

Ici, un attelage improvisé...

... et là, on se réjouit de la récolte !

Ce petit coin caché recèle en effet bien des trésors. Comme cette petite presqu'île, au milieu de la rivière, qui rassemble tout un monde de lutins s'agitant, immobiles, sous les arbres.

Le maître des lieux a planté ici des panneaux explicatifs et documentés. Et l'on passe ainsi, de l'un à l'autre, rêvant du temps qui s'enfuit, au rythme de l'eau qui coule et qui nous murmure à l'oreille quelques vers empruntés au grand Victor Hugo. Lequel se demande d'ailleurs bien ce qu'il vient faire ici, au milieu des sorcières et des citrouilles d'Halloween. Rançon de la gloire, sans doute… Mais au bord de notre vieille rivière du Nohain où tant d'anciennes légendes s'y reflètent encore, peut-être n'est-on pas si loin de l'esprit médiéval et gothique, si cher à notre poète national ? 


Photos de Claudine Robert - Texte de Guy Robert - Décors et documents de Jean-Louis Chantreau - © Linutil – novembre 2024