Maurice Etienne Legrand, enfant, venait passer ses vacances
à Donzy (Nièvre) dans la propriété familiale.
Au fond de celle-ci, entre des vieux murs couverts de lierre, coulait une
rivière, le Nohain. Plus tard, installé à Paris
et désirant se lancer dans la carrière littéraire,
il se souvint du Donzy de son enfance et prit comme pseudonyme celui de
"Franc-Nohain".
C'est sous cette identité que son talent de fabuliste (12 livres
jusqu'en 1933) et de librettiste (on lui doit le livret de "L'Heure Espagnole",
unique opéra de Ravel) fut reconnu par ses pairs et par le grand
public. Il disparaît en 1934, à 61 ans. Ses trois enfants
auront une carrière publique et artistique : la fille comme illustratrice,
le premier garçon, Jean Nohain dit "Jaboune", devient un
de pionniers de la télévision naissante tandis que son autre
fils sera comédien au théâtre et au cinéma sous
le nom de Claude Dauphin (nom de jeune fille de sa mère).
Notre Nohain a donc connu les feux de la rampe mais aussi la vie plus
humble des métiers d'autrefois. Il fut un temps où, tout
au long des 47 km de son cours, tournaient les moulins. On en a compté
jusqu'à 59 sous le Premier Empire. Donzy en dénombrait
14 à lui seul, dont 7 pour moudre la farine. A cette époque,
la force hydraulique était utilisée largement pour toutes
sortes de machines et d'industries : foulon, tréfilerie, scierie…
La 2ème moitié du XIXème siècle voit l'activité
de ces moulins dépérir, puis s'arrêter définitivement
au profit des minoteries industrielles, tandis que les usines emploieront
de plus en plus la vapeur puis l'électricité. Le Nohain
redevient alors une simple rivière où il fait bon pêcher.
De ces moulins, il en demeure toutefois quelques uns… Un autre, le Moulin de l'Ile, en pressant les noix et les noisettes du pays, fabrique de l'huile renommée dans la région. Mais, sans doute le plus ancien et le plus pittoresque, reste celui qui nous occupe aujourd'hui : "Le Moulin du Commandeur"... Ce fameux "commandeur" n'est pas la statue vengeresse du même nom qui hante le "Don Juan" de Molière puis celui de Mozart. C'est une référence au titre de commandeur de l'Ordre Royal, ordre issu d'un plus ancien et renommé, celui de "Saint-Jean de Jérusalem", dit aussi "Ordre des Hospitaliers". C'est cette institution qui reçut les biens arrachés aux non moins fameux Chevaliers Templiers, après la dispersion de leur ordre et l'exécution de leurs membres. On trouve trace de ce moulin dans les archives dès le 17ème siècle. Plus tard, il a appartenu au commandeur Jacques François Maxime de Chastenay, marquis de Puységur, un des disciples du célèbre magnétiseur Mesmer. Voilà sans doute pourquoi le lieu est consacré chaque année au culte des sorcières et autres démons d'Halloween. Et ceci grâce à Jean-Louis Chantreau, personnalité de Donzy bien connue, qui allie à ses talents de jardinier-décorateur, une passion érudite pour l'histoire. Les références et détails de cette chronique lui doivent beaucoup ; qu'il en soit ici remercié.
Ici, un attelage improvisé... ... et là, on se réjouit de la récolte ! Ce petit coin caché recèle en effet bien des trésors. Comme cette petite presqu'île, au milieu de la rivière, qui rassemble tout un monde de lutins s'agitant, immobiles, sous les arbres.
Le maître des lieux a planté ici des panneaux explicatifs
et documentés. Et l'on passe ainsi, de l'un à l'autre, rêvant
du temps qui s'enfuit, au rythme de l'eau qui coule et qui nous murmure
à l'oreille quelques vers empruntés au grand Victor Hugo.
Lequel se demande d'ailleurs bien ce qu'il vient faire ici, au milieu des
sorcières et des citrouilles d'Halloween. Rançon de la gloire,
sans doute… Mais au bord de notre vieille rivière du Nohain où
tant d'anciennes légendes s'y reflètent encore, peut-être
n'est-on pas si loin de l'esprit médiéval et gothique, si
cher à notre poète national ?
|