Décembre 2024

 
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Des centaines de santons

En cette période de fin fêtes de fin d'année, les rues s'illuminent et les marchés de Noël rassemblent les amateurs de vin chaud. En Provence, il est une tradition supplémentaire : "Les Foires aux Santons". Mais qu'est-ce cette tradition et que sont ces santons ?
 

I – Origines du Santon
 

Tout a commencé en Italie au XIIIème siècle. Pour fêter la Nativité, on installait dans les églises, ou sur leur parvis, des crèches "vivantes", avec de vraies personnes dans les rôles de Joseph et Marie, un vrai bébé dans celui de Jésus, de vrais animaux et de vrais faux rois mages. Tout cela nécessitant beaucoup de travail et de disponibilité de la part des villageois comédiens amateurs, on remplaça les personnages vivants par des statues de bois peintes et costumées. La crèche était née.

Cette tradition se répandit en Provence puis dans toute l'Europe. La Révolution Française ferma les églises et interdit toute représentation de la Nativité, qu'elle fût vivante ou non. Mais le petit peuple de France ne l'entendait pas de cette oreille : il y tenait, à sa crèche, et bientôt chaque famille installa la sienne, dans sa propre demeure. Bien entendu, pour des raisons de discrétion et de sécurité, pas question de mettre en scène les statues de bois habituelles, trop volumineuses, trop voyantes, et trop coûteuses. On modela donc les figures de la nativité, en petit format, avec de la mie de pain ! En cas de visite surprise de la police révolutionnaire, il était facile et rapide de dissimuler ces petits personnages interdits, quitte à les avaler tout rond…

Plus tard l'argile, plus indigeste, allait remplacer la mie de pain : le Santon était né. 


II – Les Santons de Provence

"Santoun", en provençal, signifie "petit saint". Jean-Louis Lagnel est le premier des santons en argile, à Marseille, à la fin du XVIIIème siècle. Traditionnellement, les Santons de Provence rassemblent Marie, Joseph, l'Enfant Jésus, l'âne, le bœuf, l'archange, les Trois Rois Mages. Ça, c'est pour le noyau dur, à l'intérieur de la Crèche ou à l'extérieur proche. Ensuite, par cercles concentriques, se développe tout un paysage provençal, avec ses mas, ses murets de pierres sèches, ses ponts, ses moulins, ses villages perdus dans la montagne, ses champs de lavande ou ses vignes.

 Car au fil des années d'autres personnages provençaux se sont invités à la fête. "Li pastre" (les bergers) ; "lou viei et la vièlo"(le vieux et la vieille, Grasset le vieux avec son parapluie et Grassette la vieille avec son panier) ; "lou ravi" (le ravi, celui qui lève les bras au ciel). Et tous les autres santons représentant, dans un hommage général, les petits métiers et les petites gens : le pêcheur, la poissonnière, le bûcheron, le meunier et son sac de farine, le vannier, le rémouleur, le tambourinaire. On y retrouve tout ce qui fait le folklore méditerranéen : la pétanque, la partie de cartes…


D'autres personnages, plus élevés dans la hiérarchie sociale et dont on se moque gentiment, sont représentés : le curé (chauve et bedonnant), le maire, le moine, le gendarme (il en faut, ne serait-ce que pour courir après les bohémiens qui figurent également dans cette grande parade provençale).

Enfin, chaque Noël, une célébrité de l'année a l'honneur de voir son effigie, aux pieds d'argile, rejoindre le club fermé des santons de Provence. Cette année, c'est le Professeur Raoult de Marseille qui s'y colle !... 

 


III – La fabrication des Santons

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, il n'y a pas d'industrialisation du processus de fabrication. Quelques grandes entreprises (souvent familiales) fonctionnent dans ce créneau, mettant en œuvre des méthodes artisanales et traditionnelles. La fabrication d'un santon simple (c'est-à-dire moulé d'une seule pièce) nécessite 6 étapes.

1 – Le modelage
 

Ici réside tout l'art du santonnier. Cette première étape décide du reste et permet à l'artisan de devenir un véritable artiste. Dans un bloc d'argile rouge et tendre, le santonnier va modeler, sculpter, longuement et précisément, l'image du santon qu'il a dans la tête et auquel il veut donner vie à partir de la matière inerte. C'est à ce stade que s'expriment la créativité, l'inventivité, l'expérience et l'habileté de l'artisan. Cette étape peut prendre de quelques heures à quelques jours, selon l'inspiration du moment et le résultat obtenu.

2 – La création du moule
 

La réalisation des santons se fait par estampage et nécessite donc un moule en plâtre. Le plâtre (dont la composition est LE secret ultime du santonnier) doit être assez fin pour retenir l'empreinte du plus petit détail et assez résistant pour subir plusieurs centaines d'estampages. Le coulage s'effectue en 2 étapes : la première pour la moitié inférieure du santon, la seconde pour la moitié supérieure. Des goulottes et des mortaises sont aménagées dans le moule afin d'en faciliter l'ouverture.
Quand le plâtre est sec, on ouvre le moule et on le nettoie : la figure originale, en argile, modelé à la précédente étape est donc détruite par cette opération. Seul le moule conserve l'empreinte, en creux, du santon original.

3 – Le moulage (ou estampage)
 
On remplit le moule d'argile et… on presse. A la main, en appuyant fortement sur la partie supérieure du moule, sans le briser ! L'argile remplit alors tous les creux du moule, reproduisant fidèlement les reliefs de la figurine.
On ouvre ensuite le moule ; on enlève les surplus d'argile et on démoule le santon à l'aide d'une tige de fer rigide introduite dans le socle de la figurine.

C'est à ce moment que le santonnier appose sa marque de fabrique, au moyen d'un tampon pressé sur le dessous du santon, garantissant ainsi son origine.

Un moule peut produire, sans trop s'user, une centaine de santons. Les professionnels confectionnent généralement 2 moules : un "moule d'usage" consacré aux tirages des exemplaires et un "moule mère" qui produira une nouvelle figurine, laquelle servira à couler un moule tout neuf pour l'estampage d'une nouvelle série. Astucieux ! C'est cette bibliothèque de moules, soigneusement conservés, étiquetés, classés, qui fait toute la richesse de l'entreprise. 



 4 – L'ébarbage et le lissage
 

Après quelques heures de séchage il faut, sans attendre que l'argile durcisse trop, effacer les traces du moule. C'est l'ébarbage réalisé au couteau très fin. On peut ensuite lisser au pinceau et à l'eau la surface du santon afin de la rendre plus régulière. Certains détails, comme la barbe ou les cheveux, peuvent être retravaillés, détails qui rendent chaque santon unique.

5 – La cuisson du santon

Le santon, bien séché, est placé dans un four spécial, à 500° d'abord, puis à 900° ensuite. Il y reste ainsi une douzaine d'heures puis, à l'extinction du four, se refroidit lentement.
 

6 – La peinture du santon

Pour peindre les santons, on utilise généralement de la peinture acrylique matte, peinture qui résiste bien dans le temps. On peint un santon de haut vers le bas. On commence donc par la tête pour terminer par les pieds. Les grands santons articulés et habillés présentent les détails les plus fins et nécessitent de ce fait un travail plus complexe, avec parfois, comme pour le rendu du regard par exemple, 6 passages de pinceaux successifs. Heureusement, le santonnier travaille toujours par série, afin de gagner en productivité et de permettre à la peinture de sécher entre 2 couches.


Il existe 4 tailles différentes de santon en argile :
2, 4, 7 et 9 centimètres, celle de 7 cm étant la plus courante.

De 15 cm à plus de 20 cm, on trouve les santons habillés de véritables tissus provençaux et dont le modelage, très fin et détaillé, est étonnant de réalisme, comme le personnage du pêcheur, ci-contre.

Compter entre 11 et 13€ l'unité pour un santon en taille 7 et de 75 à plus de 150€ pour un grand santon vêtu de tissu.

Il existe également des santons en terre naturelle, sans peinture, à 4€. Comme quoi c'est bien la décoration faite à la main qui donne toute leur valeur à ces pièces.
 

Les santons de grande taille demande un travail supplémentaire : l'habillage. Les vêtements sont découpés dans du tissu provençal traditionnel, à partir d'anciens patrons de costumes folkloriques. 
 
 

Couturière présentant un catalogue de tissus provençaux…



 

… puis collant un bonnet sur la tête du marin marseillais.
 


IV – Les Foires aux Santons

Outre les crèches monumentales qui sont exposées ici ou là reconstituant, avec minutie et réalisme, villages et paysages provençaux, chaque année, de novembre à décembre, se tiennent un peu partout des "Foires aux Santons".

On peut y admirer (et acheter) les productions des artisans régionaux. Ils sont nombreux et reconnus dans le métier, mais difficile de les citer tous :

Fouque – Jouve – Carasse Féry – Richard – Mayans – Guitton Créations – Serge Vincent – Gateau et Fils – Atelier Aterra – Escoffier – Ateliers Marcel Carbonel – Les Santons Campana – Jacques Flore – Gonzague – Colette – Beaumond.

Sans oublier l'entreprise familiale "Maryse Di Landro" à Aubagne, dont les santons illustrent cette chronique et dont les explications et démonstrations techniques nous ont ouvert les portes du monde merveilleux des Santons de Provence.
 


Photos de Claudine et Guy Robert – Texte de Guy Robert
Santons des artisans de Provence
© LINUTIL – décembre 2024