Mars 2025

 
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Le Printemps des Poètes

Une louable intention
Chaque année, au mois de mars (du 14 au 31, précisément), on célèbre le « Printemps des Poètes ». Cette année, ça sera la 27ème édition de cette manifestation qui, pour la plupart d’entre nous, passe inaperçue. En effet, le comité organisateur a été longtemps le foyer de guerres intestines entre bandes rivales et chefs auto-proclamés, ce qui n’a pas aidé à la communication. 
Comme pour résumer et conclure cette période difficile (n’est-ce pas d’ailleurs un clin d’œil ?) le thème retenu cette année est « La poésie volcanique » !
Affiche officielle du Printemps des Poètes
Pour mémoire, les thématiques des années passées ont exploré de multiples univers :
« La Grâce » en 2024, « Frontières » en 2023, « L’éphémère » en 2022…

A travers cette manifestation, l’association du Printemps des Poètes essaie de promouvoir la poésie. Des initiatives locales fleurissent un peu partout, dans les écoles, entre autres, où expositions, spectacles, ateliers permettent à la poésie de s’exprimer et sensibilisent le jeune public à cet art… Même si le discours est plus proche du rap que de l’alexandrin classique. C’est que les temps ont changé…


Profession : poète

Au 17ème et 18ème siècle, les poètes vivaient de leur plume, du moins certains. Au 19ème siècle, c’était déjà plus difficile. Certes, les plaquettes de poèmes étaient nombreuses sur le marché du livre. Des jeunes gens, sans le sou, veillant tard dans des mansardes mal chauffées, se ruinaient davantage, s’il est possible, à faire publier quelques vers. On en parlait dans les journaux, on les rencontrait au théâtre ou au café, discourant dans la fumée blonde des entractes. L’Histoire a retenu le nom des plus grands : Alfred de Musset, Victor Hugo, Lamartine, Verlaine, Rimbaud, pour s’en tenir au XIXème siècle. Et plus proches de nous : Cendrars, Aragon, Maurice Carême, Jacques Prévert…

De gauche à droite : Victor Hugo, Paul Verlaine, Louis Aragon

Tous ces écrivains ont nourri les dictées et les récitations de notre enfance, et c’est par l’intermédiaire de tels exercices que nous avons pu rencontrer la Poésie. Certains et certaines s’y sont même essayés. Qui n’a pas, dans ses jeunes années, écrit quelques vers, ne serait-ce que pour sa petite voisine ou son camarade d’école, quelques vers maladroits mais touchants pour sa maman le jour de sa fête. Celles et ceux qui ont continué, plus tard, sont devenus les poètes et poétesses d’aujourd’hui, hélas souvent méconnus, inconnus, anonymes…

Eh oui, la poésie n’est plus à la mode. Il n’y a qu’à consulter le catalogue des éditeurs pour mesurer le désert poétique de la littérature actuelle. Même la chanson, autre forme de poésie, dont on aimait écouter les grands maîtres (Brassens, Brel, Ferrat, Ferré…) a perdu ses rimes, ses subtilités et sa grammaire. D’où l’urgente mission du Printemps des Poètes.


Retour vers le futur ?

Dans mon grenier, riche de poussiéreux souvenirs, j’ai retrouvé quelques poèmes de jeunesse.  A l’époque (les années 1960), point d’internet pour partager ses passions. Point d’ordinateur et d’imprimante pour mettre au propre ses brouillons. Ces manuscrits, tout de même tapés sur une petite machine à écrire portative (un luxe !), sont restés au fond d’une valise, oubliés. Certains avaient été publiés dans le journal du lycée, puis réunis en recueil. 
Mais impossible d’être édité, sinon à compte d’auteur et moyennant un coût prohibitif, situation digne du poète affamé dans sa mansarde dont il a été question plus haut…

Aujourd’hui, pour le prix d’un hamburger vite avalé, on peut faire imprimer sa plaquette de poèmes. Et pour quelques sous d’électricité, on peut publier sur le web sa poésie et la faire connaître dans son immeuble, dans son village, dans le monde entier.

Comme une plante assoiffée à laquelle un peu d’eau suffit pour qu’elle revienne à la vie, ces poèmes n’ont besoin que du regard de celui qui les lit, de la voix de celui qui les récite pour renaître, jeunes et neufs, comme à l’heure où ils ont été enfermés entre l’encre et le papier.



Un poème adolescent

Le poème présenté ci-dessous a été composé dans les années 1960, alors que j’étais adolescent. Il est extrait du recueil (jamais publié) « Signe d’aurore », recueil qui reçut en 1966 le 1er Prix de la Compagnie Théâtrale des Trois Clous de Savigny-sur-Orge. La gloire n’a pas été plus loin…
 

ENFANCE
 
Oh les odeurs coutumières
Vieilles pages mi-rongées
Que tourne le souvenir 

Oh douces libératrices
Qui m'ouvrez l'âme et les lèvres
Au parfum de nos meubles

Oh douces consolatrices 
Votre main de calme jonc
Recevra encor ma joie 

Crissante comme une soie
Antennellée de grillons
Pleine et chaude et salvatrice

Oh les odeurs coutumières
Qui couvrent de cailloux tendres
L'araignée de nos chemins 
 

Guy ROBERT, 1964



Jeu poétique
Plus récemment, dans les années 1999, avec Claudine nous avons inauguré un jeu amusant. Sur un thème donné, il s’agissait de composer, chacun de son côté, un petit poème. Ce jour-là, le sujet choisi fut notre petit chien Igloo. C’est ce charmant et futé teckel qui, quelques mois plus tard, allait inspirer le personnage de Linutil.
LE RIMAILLEUR
 
Il rêve, le gentil Igloo,
De faire des rimes, comme ses maitres :
La faim, ça rime avec croquettes ;
Amour, ça rime avec caresses.
Il n'a pas tout compris, peut-être ?
Claudine ROBERT, 26 septembre 1999
CHIENNE DE VIE
Allongé, comme écrasé, sur la marche au soleil
Igloo, le chien, ne dort en fait que d'une patte.
Ses yeux, boutons de bottine, noire agate,
Tournent sans bouger leur regard vers le ciel.

Qu'y a-t-il là-haut,
Sinon des oiseaux
Qu'il ne pourra jamais attraper ?
Peut-être aussi, dans les nuages,
D'une beauté chienne l'image
Qu'il ne pourra jamais aimer ?
Et plus loin encore, des planètes
Où les chiens ont deux têtes,
Comme en Egypte, vous savez ?
Mais à mâchouiller un os
A longueur d'après-midi,
On devient philosophe :
On est très bien ici.

"Igloo, la soupe !" Ah ! que voilà un beau poème !
Laissons à d'autres dieux, le monde et son destin :
Rien n'est meilleur que de savoir que l'on vous aime,
Le ventre rebondi, le nez dans un coussin.

 

Guy ROBERT, 26 septembre 1999

Sous les cerisiers en fleur


Nous refermerons cette parenthèse poétique… au Japon, dans le style des « haïkus ».
 
 

Rappelons que le Haïku est un poème de 3 vers ayant chacun respectivement 5, 7 puis 5 syllabes, du moins dans son adaptation française :
 

Le soleil levant
Puis le vent dans les grands saules,
Seulement le vent.

Vous me direz : Mais dans tout ça, où est la « poésie volcanique », thème du Printemps des Poètes de cette année ? C’est qu’à nos âges, on serait plus proche de la cendre tiède que de la lave brulante.
Toutefois, comme le chante Brel, autre grand poète, dans « Ne me quitte pas » (1959) :
 

On a vu souvent
Rejaillir le feu
De l’ancien volcan
Qu’on croyait trop vieux…


Tout n’est donc pas perdu, tant qu’il y aura des poètes.



Textes de Guy Robert – Poèmes de Claudine Robert et Guy Robert – Les fleurs de cerisier sont en fait des fleurs de pommier de chez nos amis nivernais Christiane et Bernard. ©Linutil – mars 2025