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Non, son but est de se confronter à la nature,
à la puissance de l’océan, à l’abrupt des falaises.
Avant son départ, peut-être a-t-il lu les quelques lignes
que Flaubert a consacrées à ce coin de Bretagne dans son
ouvrage "Par les champs et par les grèves",
paru l’année précédente. A l’époque, enfin,
les guides touristiques décrivent déjà Belle-Ile et
certains de ses sites pittoresques, comme la Grotte de l’Apothicairerie,
le Grand Phare et la Pointe des Poulains.
Il prend à son service Hippolyte Guillaume, dit "Poly", un ancien matelot qui va l’aider à transporter son matériel et à arrimer ses toiles au rocher. Car à cette époque de l’année, les coups de vent sont fréquents et Monet, quel que soit le temps, sort tous les jours peindre la mer. "… et chaque jour je la comprends mieux, la gueuse… Bref, j’en suis fou…". Tous les détails de sa vie à Belle-Ile nous
sont connus grâce à sa correspondance. Initialement, Monet
avait prévu de rester à Belle-Ile une petite dizaine de jours…
il y demeurera 2 mois et demi (jusqu’au 25 novembre 1886). Un séjour
uniquement consacré au travail : il peindra à Belle-Ile 39
toiles et écrira 75 lettres (une par jour), en grande
partie adressées à son épouse Alice restée
à Giverny pour veiller sur la maison, les enfants et le jardin.
Ces 39 toiles auront toutes pour thème la mer et les rochers, sauf
une.
Durant son séjour à Belle-Ile, Monet se consacre donc entièrement à l’étude de la lumière, de l’eau et de l’atmosphère. Mais l’océan et le ciel sont changeants ; d’une heure à l’autre les formes et les couleurs se modifient en raison du temps qu’il fait, de la position du soleil, des nuages, du mouvement des vagues… Pour suivre et rendre compte de ces métamorphoses, Monet travaille sur plusieurs toiles à la fois, sur le même motif, passant de l’une à l’autre en fonction du moment de la journée, de la luminosité. Il l’explique très bien dans l’une des lettres qu’il écrit à Alice : "… pour peindre vraiment la mer, il faut la voir tous les jours, à toute heure et au même endroit… aussi je refais les mêmes motifs jusqu’à quatre et six fois même…". Sans le nommer précisément, il inaugure ainsi le fameux procédé des « séries » qu’il développera plus tard systématiquement avec "Les Meules", "Les Peupliers", les "Cathédrales de Rouen" et enfin "Les Nymphéas". Pour l’heure, il s’acharne, quel que soit le temps, à peindre cette "mer terrible". Il faut imaginer le peintre et son assistant Poly, luttant contre le vent, la pluie, parfois la grêle, le vent qui lui arrache le pinceau des mains, la pluie qui détrempe les toiles. Ce combat fait des deux hommes une équipe soudée et tendue vers un objectif commun. Poly ira jusqu’à dire, au retour d’une journée particulièrement prolifique pour le peintre :
Monet se montre exigeant dans ce qu’il appelle non son art mais "son métier" et il lui arrive parfois de gratter complètement une toile dont il n’est pas satisfait, au grand désespoir de Poly. C’est que Monet ne fait pas du "pittoresque" ; son sujet c’est la lumière et ses reflets sur l’eau et le rocher. Il cadre ses tableaux en limitant le ciel à une étroite bande, en haut de sa toile. Il n’est pas reporter photographe, alors il prend la liberté de supprimer de ses peintures la vue du Grand Phare ou celle du Sémaphore du Talus, constructions célèbres à l’époque et figurant dans les guides touristiques. Il plante son chevalet dans un nombre réduit d’endroits : le Port Goulfar, les Roches Domois, Port Coton, comme indiqué sur la carte ci-dessous :
C’est Monet qui "invente" (dans le sens premier
du mot : trouver) les fameuses Aiguilles de Port Coton qu’on
nommait alors "les pyramides". Six de ses trente-neuf toiles y sont consacrées,
faisant ainsi de ces roches devenues célèbres dans le monde
entier grâce à lui, le symbole même de Belle-Ile-en
Mer, la Bien Nommée.
Linutil a déjà, par le passé, consacré quelques chroniques à ce joli coin de Bretagne, chroniques que vous pouvez consulter ci-dessous. - Septembre 2002
: Un été à Belle-Ile-en-Mer
qui organise des randonnées à thème sur les pas de Monet et qui a édité l’opuscule "A Belle-Ile avec Claude Monet en 1886" dont est extraite la matière principale de cette chronique. Texte de Guy Robert – Photos de Claudine Robert – © Linutil
– Juillet 2025
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