Nous commençons ici la publication d'un récit dont le lecteur trouvera la suite et la fin le mois prochain. Une histoire à suivre, comme au bon vieux temps, pour ménager le suspens. |
Pour ceux que la lecture à l'écran rebute, et on peut les comprendre, ils trouveront ci-contre une version papier à télécharger et imprimer... |
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Dans tous les cas de figure, bonne lecture et, comme on disait autrefois, "la suite au prochain numéro..." |
1ère Partie — « Jeanne, Margot ! Venez boire votre lait ! » Les petites filles s'avancèrent
dans le cercle de la lampe et s'assirent côte à côte
sur le vieux banc de bois. Les volets avaient été repoussés,
mais la nuit noircissait encore les fenêtres en ce matin de décembre.
A voir les jolis dessins du givre sur les vitres, on devinait que la journée
serait aussi froide que les précédentes. La neige ne tombait
plus, mais elle avait recouvert tout le paysage, depuis les collines ondulant
à l'horizon, jusqu'aux taillis qui clôturaient la cour, devant
la maison. Une couche épaisse, silencieuse, et dont l'étrange
lueur éclairait doucement les poutres dans l’ombre du plafond. Grand-Mère
Julie rajusta son fichu noir sur ses épaules.
— « Dépêchez-vous, mes enfants, il y a école aujourd’hui. »
Et pendant que les petites finissaient leur tartine, Grand-Mère Julie rêvait en regardant la neige et la nuit. C’est que les hivers étaient rigoureux par ici. Grand-Mère et Grand-Père élevaient leurs petites filles dans ce joli petit coin de Nièvre où ils avaient leur ferme, une petite exploitation avec quelques moutons, une vache, des poules et une vigne. Le Grand-Père se louait dans les fermes d’alentour pour améliorer l’ordinaire. Les parents des petites filles restaient à Paris. Ils venaient plusieurs fois dans l’année, par le train. La gare était à deux kilomètres, mais avec cette neige, cette fois-ci, ce serait une autre affaire. Grand-Mère soupira. Quand reverrait-elle sa fille et son gendre, s’ils ne venaient pas à Noël ? Au printemps, peut-être. Paris était si loin, et le temps passait si vite. Par la fenêtre, elle vit Grand-Père se diriger vers la bergerie, les pieds traînant lourdement dans la neige épaisse. C’est qu’on se fait vieux, pensa-t-elle, et les petites qui ne connaissent même pas Paris. Sûr, faudrait qu’on y monte, un jour… Mais le Grand-Père disait toujours que ça le méritait pas. Pourtant lui aussi, il devait être curieux de voir où vivait sa fille, sans se l’avouer. De grands et beaux immeubles en briques, paraît-il, ouvrant leurs fenêtres sur de larges avenues pleines d’arbres où trottaient d’élégantes voitures à cheval. C’est vrai qu’on en avait aussi des chevaux et des arbres, ici. Et l’été, c’était si agréable à la ferme, même si les journées étaient alors bien remplies. L’horloge sonna un coup. « Mon Dieu ! La demie de sept heures, déjà ! » soupira-t-elle en jetant un regard rapide vers l’horloge. Ah ! Cette horloge ! C’était une « comtoise », toute brillante avec son cadran doré, ses panneaux décorés de fleurs et son large verre derrière lequel jouait le reflet d’or du balancier. Une merveille et toute une histoire… Il y a plus de trente ans maintenant, quand Grand-Mère Julie avait accouché de sa fille, elle était partie à Paris, comme beaucoup de nivernaises, faire « nourrice sur lieu ». Elle, elle connaissait la capitale, enfin pour ce qu’elle en avait vu, car elle n’avait pas eu le loisir de se promener beaucoup durant les quelques mois qu’avait duré son engagement. Un matin, elle était arrivée avec sa valise à la Gare de Lyon. Une bonne l’attendait sur le quai. Une voiture avec un cheval gris et un domestique tout de noir vêtu l’avait emmenée du côté du Boulevard Saint-Germain, encore en travaux à l’époque, dans un hôtel particulier où ses patrons l’attendaient. Des gens charmants et un bébé rouge de colère qui but avidement, jour après jour, son bon lait de nourrice. Quand un an et demi plus tard Julie quitta Paris pour revenir au pays, outre ses gages, elle reçut en remerciement de ses services une magnifique montre à gousset, en or. De retour chez les siens, la montre
fut glissée dans un tiroir. Que faire d’un pareil bijou dans une
ferme, se disait-elle. Avec les travaux des champs, les bêtes à
s’occuper, la pluie, la boue, la poussière, une montre aussi belle
et précieuse que celle-là n’avait pas sa place. C’est bon
pour les messieurs-dames de la ville qui n’ont pas de soleil pour savoir
l’heure. Puis une idée lui vint. Le jour du marché, elle
se rendit à pied à la ville voisine, la montre dans sa poche
de tablier. Sept kilomètres sous le soleil. Arrivée au bourg,
elle traverse la place d’un pas alerte, à peine essoufflée
de sa longue marche, et entre directement chez l’horloger. Sur le comptoir,
elle pose la montre qu’elle avait précautionneusement emballée
dans un mouchoir de son homme.
— « Combien vous me donneriez pour cette montre ? »
« Oh ! vous savez, c’est qu’une horloge, mon pauvre Armand . »
Grand-Mère émergea de sa rêverie et tapa dans ses mains. « Allez, allez les filles, allez vite vous préparer, c’est l’heure ! »
« Et votre bûche, vous
oubliez votre bûche ! » alerta Grand-Père en se détournant
du feu. C’est que chaque enfant devait participer au chauffage de la classe.
Margot, trop petite, en était encore dispensée. C’est donc
Jeanne, sa grande sœur, qui charriait la bûche quotidienne sous son
bras. Oh, elle n’était pas bien grosse, la bûche. C’était
davantage symbolique qu’autre chose, l’école ayant fait de son côté
des provisions de bois de chauffage. Mais c’était la tradition.
— « Tu me la passeras, dans la descente, murmura Margot, pour qu’on la fasse rouler jusqu’en bas ? » Jeanne eut un petit sourire qui disait oui.
— « On est au 20ème siècle, nom d’un chien ! », tempêta Grand-Père. S’interrogeant de savoir si le juron le concernait ou non, le chien leva un œil vers son maître puis, rassuré, repartit dans ses songes. Et les deux petites filles franchirent le seuil en riant.
à suivre…
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© Guy Robert - janvier 2012
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