Septembre 2016
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LE PETIT LAPIN TURBULENT
C’est dans le grenier que nous l’avons trouvé. Coincé en haut d’une étagère, caché au fond d’un sac en plastique, à l’abri de la poussière ancestrale et des souris qui, nous le savons, reprennent possession des lieux dès que nous tournons les talons. C’est un petit livre que j’avais, étant enfant :
« Le petit lapin turbulent »
n° 22 de la collection
« Un petit livre d’or »
paru en 1950 aux Editions Cocorico.

Ecrit par Ariane et illustré par Gustaf Tenggren, un dessinateur suédois émigré aux Etats Unis et qui entrera aux Studios Walt Disney.


L’histoire est celle d’un petit lapin intrépide qui vit avec ses frères et sœurs dans un coin de la forêt, sans souci… ou presque. Car, tout près de là, rode une belette, très sournoise et décidée à manger les petits lapins.
Un jour, justement, alors que le petit lapin turbulent se repose tranquillement dans son terrier, la belette entre par la porte de derrière pour le croquer. Rusé, notre petit lapin s’enfuit par l’ouverture opposée et court droit devant lui, sans s’arrêter.

Il court si longtemps et si loin qu’il arrive au bout du bout de la forêt. Il découvre alors un pays qu’il n’a jamais vu : des collines, des champs cultivés, un ruisseau qui serpente, un petit village avec des cheminées qui fument…

Tout cela l’étonne et est magnifique, mais la course lui a donné faim.
« Je mangerais des millions de champignons ! » soupire-t-il. Un écureuil rouge, qui vit dans le coin, l’a entendu ; il va lui chercher une botte de délicieuses carottes, ce qui fait la joie du petit lapin turbulent. Maintenant, restauré et reposé, il aimerait bien rentrer chez lui… mais hélas, il ne se souvient plus du chemin qu’il a pris : il est perdu.

L’Ecureuil Rouge, qui est un sage avisé, comme beaucoup d’écureuils, l’emmène chez Monsieur le Hibou. Celui-ci le rassure : « Je crois savoir où tu habites, petit lapin. Suis-moi et je t’y conduirai. »

C’est ainsi que, guidé par le hibou et accompagné de l’écureuil rouge, petit lapin turbulent retrouva ses frères et sœurs. Hélas, mauvaise nouvelle : le matin même la méchante belette était venue manger la grand-mère devant toute la famille apeurée ! Petit lapin turbulent verse une larme sur l’aïeule disparue puis décide de réagir. Mais que faire ? C’est Ecureuil Rouge, toujours sage et avisé, qui a une idée :
« Il faut faire une peur bleue à cette infâme belette. »

Avec de vieilles branches, des feuilles et des épines ils construisent la peau d’un effrayant dragon : petit lapin turbulent forme la tête de la bête, avec une grande gueule d’écorce, des dents pointues en bois et une longue langue en liane ; ensuite, caché juste derrière lui, le hibou agite ses ailes en faisant « Ou-ou-ou » ; enfin frères et sœurs du petit lapin font l’arrière-train et la queue du monstre. Terrifiant !

La belette, qui s’était mise en chasse à la recherche du petit lapin turbulent pour en faire son petit déjeuner, se retrouva soudain face au dragon : celui-ci ouvrait une gueule menaçante, tout en battant des ailes, en tordant sa queue et en criant de terribles « Ou-ou ».
La belette fut tellement épouvantée qu’elle se jeta du haut de la colline pour échapper au dragon. Mal lui en prit : dans sa chute, elle s’écrasa le nez, se cassa une jambe et se tordit définitivement la queue.

Elle s’enfuit des bois et court encore se promettant que jamais plus elle ne tenterait de manger un petit lapin, turbulent ou pas.

Petit lapin turbulent, ses frères et sœurs, ainsi que leurs nouveaux amis Ecureuil Rouge et Monsieur Hibou, se félicitèrent de leur victoire et retrouvèrent avec joie la tranquillité de leur forêt.

Voilà toute l’histoire. Quand j’étais petit, je trouvais très triste le sort réservé à la pauvre belette. Avec ses pansements et ses béquilles, telle qu’elle apparaissait à la dernière page du livre, elle me semblait digne de pitié. Je n’avais sans doute pas tout compris… Je me consolais en ouvrant un autre de ces petits livres d’or.

C’est que cette collection toute simple recélait des trésors d’imagination et de talent. Pour la plupart, ils étaient traduits de l’américain et pourtant ce sont deux français, Georges Duplaix et Frédéric Richshöffer, qui créent la collection, d’abord aux USA (The Golden Books) puis en France, en 1949 (Les Petits Livres d’Or). De 1950 à 1986, parurent 401 titres. Ils sont toujours réimprimés de nos jours, dans la même présentation et le même graphisme qu’à l’origine. On parle même (en 2016) de relancer la série avec de nouveaux rédacteurs et de nouveaux illustrateurs, suivant le même concept et la même maquette (28 pages, non paginées, avec un texte simple et court et une illustration par page).

Aux USA, The Golden Books étaient à l’origine édités par la maison Simon and Schuster, Inc . Cette entreprise existe encore : c’est elle qui, de nos  jours, publie entre autres les romans de Mary Higgins Clark !

Notre petit lapin turbulent n’en croit pas ses grandes oreilles, très fier d’appartenir à une si célèbre famille. Et quand il se sent seul au fond de son terrier qu’aucune belette sournoise ne menace plus, il peut toujours se réciter les titres connus de la collection :
 
 

« Pouf-patapouf, l’éléphant »
« Le petit chat timide »
« Le petit trappeur »
« Le père Noé et sa famille »
« L’ours brun »
« Le coffre à jouet »
« La petite poule rousse »
« La mouette qui cherchait la mer »
...

C’est ce qui s’appelle être en bonne compagnie ! Et voilà pourquoi, à feuilleter ces vieilles histoires, le jour terminé, le grenier n’est toujours pas rangé…


N.B. N’oublions pas, dans cette collection, « Les chatons barbouilleurs ». Ce titre fameux a fait l’objet ici même d’une précédente rubrique, n° 138 en avril 2013, intitulée « Nos premiers livres ». A relire en cliquant ici !

©Guy Robert – septembre 2016