Mai 2019
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D'UN TRAIT DE PLUME


Dans les années 1950, à l’école, les élèves appliqués écrivaient à l’encre et à la plume, la tête penchée, en tirant la langue. Pleins et déliés étaient alors les piliers de l’écriture, pour ne pas dire de la culture.

Les outils et les programmes ont évolué. On ne s’en plaindra pas. Ainsi, dans les écoles, de la plume Sergent Major (célèbre marque à l’époque) et de l’encre violette (en litre, avec bouchon verseur) est-on passé au stylo-plume puis, hérésie de la calligraphie, au stylo à bille, avec des encres de toutes les couleurs, le rouge étant toutefois et toujours resté l’apanage du maître d’école. Puis vinrent l’ordinateur et son clavier, le portable et son alphabet virtuel… L’écriture, j’entends par là la belle écriture, en a pris un coup dans ses hampes, ses jambages et ses boucles gracieuses. En a-t-on abandonné l’encre et la plume pour autant ? Que nenni ! On a vu dans une précédente rubrique, quelques trésors cachés de la calligraphie et quelques pistes pour s’y adonner (voir n°177 de février 2017, "La belle écriture"). Mais la plume et l'encre sont aussi, depuis longtemps et pour encore longtemps, les alliées précieuses du DESSINATEUR.

Entrons donc discrètement dans l'atelier de l'artiste au travail, cet antre fumeux d'où s'échappent parfois de non moins fumeuses créations.

Les instruments sont simples, mais leur choix est souvent, pour le dessinateur, une étape capitale et quasi cérémoniale. Alors, voyons ce que nous avons dans notre plumier…


Le stylo-plume

Il utilise de l'encre ordinaire en cartouche. Portatif et adapté à tous les usages (dessin, écriture…), c'est l'outil idéal pour les carnets de voyage "vintage" et un peu chics.

A titre d'exemple, ci-dessous, dernière page du journal d'une équipe d'explorateurs disparue mystérieusement :


Le stylo "arts graphiques"

Sa plume et son encre sont adaptées spécifiquement à la pratique du dessin : plume douce qui glisse sur le papier ; encre très fluide et très noire, résistant à la lumière.
Les planches originales des Aventures de Linutil sont principalement réalisées avec cet outil, sur un épais papier à dessin bien blanc.

Par exemple, ci-dessous, l'épisode de ce mois-ci en cours d'encrage (j'allais dire "en cours de tournage") :


Le stylo feutre artistique

Equipé d'une pointe solide, pratiquement inusable, et d'une encre noire permanente, ce stylo moderne délivre un trait régulier et rapide. Il est encore plus pratique que le stylo-plume, car toujours prêt et toujours propre. L'encre séchant rapidement, nombre de dessinateurs l'utilisent lors des séances de dédicaces aux lecteurs. Il est également idéal pour l'écriture des textes.

Toutefois, par rapport aux autres outils à plume, le trait obtenu est moins modulable : pas de pleins ni de déliés possibles. Ce qui donne un dessin un peu moins vivant que s'il avait été réalisé à la plume.

Outre sa rapidité de mise en œuvre et d'exécution, un autre avantage : l'encre est indélébile, ce qui permet une mise en couleur "humide", type aquarelle.

Ainsi, dans l'exemple ci-dessous, la vignette contenant le personnage a été colorée aux crayons aquarellables, crayons dont la couleur peut être diluée à l'aide d'un pinceau humecté d'eau :


La plume et l'encre de chine

C'est l'outil de l'artiste par excellence, celui avec lequel on parvient à faire le plus de pâtés, mais des pâtés esthétiques ! La plume est également l'outil d'écriture de nos ancêtres, d'une souplesse et d'une expressivité inégalée.

Trois éléments sont mis en œuvre dans cette technique :

- un porte-plume
- une plume (en acier, le plus souvent)

- un flacon d'encre de chine

Comme on peut le voir sur cette photo, il existe un grand nombre de plumes, de toutes formes, de toutes tailles, dures, douces, raides, souples…

La fameuse "ligne claire" d'Hergé sort en droite ligne, si j'ose dire, de ce type de matériel. Tous les dessinateurs recherchent sans cesse, et souvent c'est une quête sans fin, la plume idéale, celle qui dessine toute seule, sans effort et sans rature. Avec le choix des encres et le choix du papier, je vous laisse imaginer le nombre de combinaisons possibles.

Comme les autres, je me laisse aller parfois à cette boulimie de tests et d'essais… Alors voilà quelques expériences en ce domaine :


Plume Gilbert et Blanzy-Poure – modèle "Sergent Major"

C'est une plume très souple, à la forte personnalité. Le trait, expressif, raconte de lui-même toute une histoire. Elle fut utilisée par tous les (anciens) écoliers de France et par un grand nombre de dessinateurs depuis.

Plume "Atome" n° 423 de la marque Conté et son porte-plume spécial
C'est "LA" plume de dessin. Mais pas forcément pour la réalisation de bandes dessinées. En effet, le trait obtenu est très (trop ?) fin. On la réservera aux dessins d'art ou aux hachures, où elle excelle. Petit inconvénient pour les débutants : elle a tendance à accrocher le papier. Et pour ceux qui ont des gros doigts, le porte-plume spécial, très mince, peut être d'une utilisation fatigante, à la longue.


Plume Brause "Cito-Feine iserlohn"
Un nom un peu complexe pour une plume que je considère comme une des meilleures (avec la "Sergent Major"), du moins à mon goût et pour l'instant ! Le trait est régulier, ni trop fin, ni trop épais. Elle glisse sur le papier, avec un débit d'encre constant. Un vrai plaisir, donc.



 
Quelle que soit la plume choisie, l'encre de chine, une fois sèche, est indélébile et d'un beau brillant. On peut mettre le dessin en couleurs, à l'aquarelle, à la gouache, à l'encre teintée, sans que le trait ne se mette à baver, cauchemar des coloristes…

Voilà donc un matériel simple et peu onéreux, pour les dessinateurs de BD qui n'ont pas le sou (c'est-à-dire la plupart d'entre eux) : un crayon, une gomme, une plume, de l'encre et quelques aquarelles. Dans le domaine du matériel on est loin des studios de cinéma, avec caméra, décors, acteurs, techniciens, lumières… et le but est pourtant le même : raconter une histoire en essayant de faire rêver le lecteur-spectateur.

A titre d'exemple, et à la manière des feuilletons de jadis, voilà la 1ère bande d'une aventure à suivre (et dont moi-même je ne connais pas la fin !).

Au plan de la technique, les dessins ont été réalisés sur papier blanc lisse, à l'encre de chine et à la plume Brause, puis colorée à l'aquarelle.

Au plan de la forme, cette bande dessinée reprend la mise en page qui était à la mode dans les années 1920-1930, avec le texte imprimé en dessous des cases. Un retour aux sources stylistique et technique du 9ème Art.


 
 

En quelque sorte un clin d'œil, léger comme une plume...






Texte, photos et dessins de Guy Robert. Le matériel présenté est la propriété de l'auteur. © Linutil - mai 2019