Tout le monde connaît les crayons de couleur, ne
serait-ce que pour en avoir utilisé à l'école et en
avoir systématiquement brisé les mines dans des taille-crayons
bon marché. Combien de gribouillages qui auraient pu être
les prémices prometteuses d'une carrière artistique ! Combien
de coloriages dépassant le trait noir du modèle ! Combien
de boites renversées, étalant sur le parquet de la classe,
dans un bruit de castagnettes, leurs crayons roulants et fuyants ! Oui,
les crayons de couleur ne laissent pas obligatoirement de bons souvenirs
aux cancres que nous fûmes et sont souvent considérés
par le public comme un médium de seconde zone, bon pour les enfants.
Et pourtant certains artistes en ont fait leur outil privilégié,
produisant des œuvres étonnantes de réalisme.
Autre monde |
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Aujourd’hui, nous voulons mettre en lumière une
espèce différente de crayons de couleur, moins connus que
ceux utilisés à l’école : les crayons dits "aquarellables".
En fait, rien à voir avec l'aquarelle, si ce n'est "l'aqua", c'est-à-dire
l'eau, qu'ils utilisent tous deux, eau qui permet de diluer, peu ou prou,
le pigment contenu dans la mine du crayon. Penchons nous, prudemment tout
de même, sur ce prodige tant chimique qu'artistique.
Tour de magie |
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La mine de ces crayons est constituée de pigment
(la couleur), de liant (cire ou autre) et d’un agent émulsifiant
qui autorise sa dilution dans l’eau ordinaire.
Quand on étale la couleur avec ce crayon, l’effet
est semblable à celui obtenu avec un crayon "ordinaire". Mais passons
maintenant sur la couleur un pinceau préalablement humidifié
et le miracle s’accomplit : la teinte se dilue ; les traits de crayon disparaissent.
On a réalisé une peinture ! |
Terme technique |
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Humidifier ("aquareller") le tracé du crayon,
comme nous venons de le voir s’appelle "activer" le crayon.
En effet, tant que l’on n’a pas passé un pinceau
mouillé sur les couleurs du dessin, celui-ci reste en attente, comme
"inactif". Il ne révèle sa richesse et son aspect final qu’au
contact de l’eau. Une sorte de "révélation", comme au vieux
temps de la photo argentique et de ses tirages en chambre noire.
Cette transformation peut être surprenante, car
il existe parfois une assez grande différence entre la couleur "sèche"
et la couleur "activée", comme illustré ci-contre.
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Il est donc nécessaire de bien connaître ses
crayons et de réaliser plusieurs essais avant de se lancer. La confection
d’une "charte des couleurs" (reprenant toutes les teintes des crayons que
l’on possède) est un bon exercice.
Exemple d'une charte des couleurs d'un assortiment
de 42 crayons.
Chaque teinte est déclinée en 2
nuances : foncée (colonnes 1 et 3) ; claire
(colonnes 2 et 4).
Pour chaque nuance on présente la couleur
sèche
(colonnes 1 et 2 puis activée (colonnes 3 et 4).
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Parlons un peu des types de crayons et des marques du
commerce. Types et marques sont ici données à titre d’exemple,
et libres de toute publicité.
Il existe 2 sortes de crayons aquarellables :
- Le crayon au corps de bois, dont il
faut tailler la mine, très proche dans sa présentation du
crayon de couleur ordinaire.
Les grandes marques (Faber Castell, Derwent, Staedtler,
Artezia…) offrent un vaste choix : plus de 120 teintes, présentées
parfois dans de luxueux coffrets de bois. Mais il existe des petites boites
en métal de 12, 24 ou 48 crayons, plus abordables.
Ces crayons se vendent également à l’unité.
Compter alors de 1 à 3 euros le crayon, selon la marque et la qualité.
Boite de 42 crayons aquarellables Derwent (marque
anglaise)
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- Caran d’Ache, la marque suisse bien connue,
propose des craies aquarellables, baptisées "Néocolor
II", sans corps en bois donc.
Avantage : on peut colorer de plus grandes surfaces, et
on n’a plus besoin de taille-crayon.
Inconvénient : ces craies sont relativement fragiles.
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Il est temps de s'équiper |
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Voyons d’abord le matériel nécessaire à
l’exercice de notre "art". Sortez vos cahiers, et prenez note. Il vous
faudra :
- Des crayons ou des craies aquarellables
- Un pinceau
- Un petit récipient d’eau
- Un chiffon pour essuyer le pinceau (ou votre
sueur d’artiste)
- Du papier "aquarelle" grain fin, assez épais
(300g/m2)
- Crayon, gomme,… enfin les outils habituels du
parfait petit dessinateur.
- Cutter ou taille-crayon de qualité.
- Un café ou une petite bière pour
se donner du cœur à l’ouvrage.
Soyons méthodiques... |
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Que ce soit les crayons ou les craies, le principe de
fonctionnement est le même. Par contre, il existe plusieurs méthodes
d’utilisation.
1. La méthode "classique"
On crayonne la zone à colorer. On peut croiser
les traits et appuyer plus ou moins fort sur la mine afin d’obtenir des
teintes plus ou moins saturées.
Ensuite, on active les différentes couleurs au
pinceau mouillé, en le rinçant entre chaque teinte. Il est
conseillé de ne pas trop tarder pour activer un dessin.
En effet, tant que le crayon est sec, il reste fragile
(on peut le gommer) et une simple goutte d’eau peut le tacher irrémédiablement.
Une fois qu’il a été activé, la couleur est stable
et pratiquement indélébile.
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Ci-contre on a décliné de gauche
à droite une même teinte en plusieurs nuances, de la plus
claire à la plus foncée.
Dans la partie supérieure la couleur
est sèche, telle qu'elle sort du crayon.
En bas, la couleur a été "activée"
au pinceau mouillé. |
2. La méthode directe
au pinceau
C’est assez proche de la technique de l’aquarelle : on
prélève
la couleur à même la mine du crayon en la frottant avec
un pinceau mouillé, comme on le ferait dans un godet d’aquarelle.
Les teintes obtenues sont tendres et légères.
On prélève la couleur au pinceau
mouillé…
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… puis on la dépose sur le papier
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3. La méthode "à
la palette"
a) Sur un papier fort et rugueux, on
crayonne des couleurs en les disposant comme sur une palette. |
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b) On prélève ensuite
la couleur au pinceau mouillé, comme on le ferait avec une palette
de peinture, puis on la dépose sur la zone du dessin à colorer. |
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Cette méthode, un peu fastidieuse il faut le reconnaître,
permet de mieux maîtriser les nuances. Elle est également
très efficace si on veut obtenir une grande surface unie.
4. La méthode "papier
mouillé"
- On mouille, à l’eau claire et au
pinceau, la zone que l’on veut peindre
- On colore dans le mouillé avec le crayon
- La couleur ainsi obtenue peut être intense ou
au contraire très délayée si on la diffuse aussitôt
au pinceau.
Par contre, l’effet final est difficilement contrôlable.
Mais cette part de hasard peut enrichir le dessin en lui apportant surprise
et fantaisie. |
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5. La méthode "non
recommandable"
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On la cite pour mémoire : il s'agit de tremper
directement la mine dans l’eau avant d’appliquer le crayon sur le papier.
Avec une mine bien taillée, cette technique autorise
la peinture de détails très fins dans une couleur intense.
Attention : Il est prudent de bien essuyer ensuite
la mine avec un chiffon, car cette technique a pour inconvénient
majeur d’abîmer, à terme, le bois des crayons.
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6. La méthode "y’a
pas de petites économies"
Quand vous taillez un crayon ou une craie
au cutter, conservez les rognures de mine.
En les diluant dans l’eau, vous obtiendrez de l’aquarelle
liquide à moindre coût. |
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Retenons que la plupart des utilisateurs de ce médium
s’en tiennent aux méthodes 1,2 et 4.
Et la B. D. dans tout ça
? |
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Bien entendu, le crayon aquarellable peut être utilisé
dans des œuvres peintes dignes des plus grands maîtres. Mais ce qui
nous intéresse ici, c’est la Bande Dessinée. Et les nuances
pastel obtenues avec ce procédé sont parfaites pour la mise
en couleur des planches de BD. Elles évoquent les anciennes publications
aux teintes un peu passées.
Ci-dessous, nous avons revisité une case d’une
aventure parue dans le magazine "Guignol" (le numéro du 31
mars 1935) intitulée "Le Mystère de Maltragord" et
dessinée par Gervy.
Pour des raisons d’économie, l’éditeur de
l’époque ne mettait les bandes dessinées en couleurs qu’à
raison d’une page sur deux. C’était donc l’occasion ou jamais d’essayer
nos crayons, en redessinant et en adaptant l’original.
Dessin de Guy Robert, d'après
Gervy
Autre incontournable : notre petit héros LINUTIL,
qui lui ne paraît exclusivement qu'en noir et blanc, s’est mis à
la couleur et en couleurs pour l’occasion.
Pour ceux qui veulent se faire la main, il y a plus de
200 épisodes à coloriser… Bon courage !
Dans ces 2 exemples, on a encré les traits du dessin
au stylo plume et à l’encre noire, APRES la colorisation.
N.B. Dans la technique classique, les BD sont d'abord passées
à l'encre, puis colorisées. Dans les exemples qui précèdent,
il aurait fallu alors employer de l'encre indélébile avant
de "mouiller le dessin". Sinon, coulures et pâtées en perspective
!
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L'avenir nous le dira |
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Certains fabricants de crayons de couleur testent la résistance
à la lumière de leurs pigments en exposant des dessins au
soleil de Californie. Ils nous garantissent ainsi, du moins le disent-ils,
une durabilité des œuvres produites avec leurs crayons au-delà
des 100 ans. Ça donne envie de vérifier, non ?
Alors, rendez-vous dans 100 ans ou en Californie, ou en
Californie dans 100 ans… mais n’oubliez pas vos crayons : ils donnent des
couleurs à la vie !
Et bientôt on dira de vous : "Mine de rien,
il en connaît un (c)rayon !"
Pour aller plus loin... |
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Si vous désirez en savoir davantage sur le dessin
et la couleur, voici quelques rubriques du site de Linutil ayant traité
le sujet, acessibles en cliquant sur les liens proposés :
Texte, Photos et Dessins par Guy Robert.
Matériel appartenant à l’auteur.
Les marques citées le sont à titre
d’exemple et sont libres de toute publicité.
©Linutil – février 2022
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